Chim
Việt Cành Nam
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Introduction |
La
société vietnamienne d'autrefois, appelée "annamite", se répartissait,
en gros, en deux classes : les mandarins et le peuple, les premiers secondaient
l'empereur dans les tâches admimistratives. De formation confucéenne,
ils étaient recrutés par des concours sévères, organisés tous les
trois ans. Grâce à un système élaboré d'éducation et de concours,
l'Annam était considéré comme un pays de civilisation avancée.
Les premiers concours apparurent en Chine au IIe siècle avant J.-C. Sous l'influence chinoise, l'Annam comme la Corée et le Japon les adoptaient tour à tour. Il fallait attendre le XIXe siècle pour voir leur apparition en Europe. Pendant l'occupation chinoise de l'Annam (111 avant J.-C. - 938), les Annamites qui souhaitaient passer les concours de haut niveau devaient se rendre en Chine. L'affluence des candidats était telle qu'en 845 l'empereur chinois limitait leur nombre à 8 aux concours de doctorat. Dès le début de l'indépendance du Vietnam, le roi Lý Nhân Tông institua, en 1075, le premier concours en s'inspirant des modèles chinois. Les dynasties suivantes (Trần, Hồ, Lê, Mạc, Nguyễn) remanièrent sans cesse le système afin de l'adapter aux besoins du pays. Les concours atteignirent leur apogée au XVe siècle sous le roi Lê Thánh Tông ; à partir du XVIIIe siècle, commença leur déclin. Ils furent définitivement abolis en 1919. Le programme des études mettait en honneur la doctrine Nho, appelée aussi doctrine confucéenne (Confucius est considéré comme son fondateur) qui préconisait un gouvernement stable fondé sur une hiérarchie sociale dont l'empereur était le chef suprême. Cette doctrine proposait de former une classe de dirigeants constituée d'hommes instruits, capables et surtout vertueux. En passant les concours, les lettrés visaient une charge officielle qui leur permettait de remplir leur mission d'hommes supérieurs, de guides éclairés du peuple. Selon Confucius, l'homme est né bon et capable d'entendre la raison, c'est l'éducation et les moeurs qui rendent les uns bons, les autres mauvais. La loi punit le coupable mais ne lui explique pas l'horreur de son geste. Il vaut mieux l'inciter à pratiquer la vertu civique et prévenir les actes criminels en développant son sens du devoir et la distinction entre le Bien et le Mal. L'éducation morale était donc primordiale, la formation de l'esprit secondaire. Si les lettrés échouaient aux concours ou s'ils ne souhaitaient pas s'engager dans le mandarinat, ils se consacraient tout naturellement à leur deuxième tâche : l'éducation des jeunes selon les principes de Confucius. On distinguait : - les concours régionaux ou concours triennaux (Thi Hương). Les candidats étaient astreints à se présenter au Centre des concours dont dépendait leur village natal. Les reçus s'appelaient cống sĩ ou cử nhân (licenciés) ; - les concours à la capitale (Thi Hội) et les concours au palais royal (Thi Đình) ; les derniers étaient considérés comme quatrième épreuve du Thi Hội. Les lauréats s'appelaient tiến sĩ (docteurs). Ce numéro est consacré aux Thi Hội (concours de doctorat). |
I- Concours à la capitale (Thi Hội) |
1. Que signifient "Thi Hội" ? |
Il
avait lieu l'année qui suivait le concours régional, vers le 3e
mois lunaire, et durait à peu près un mois.
En 1075, l'empereur Lý Thánh Tông institua le premier "Grand Concours" (Đại Khoa) au Vietnam. Sous les Nguyễn, le premier fut organisé seulement en 1822. Il s'agissait ici d'un concours national et il avait lieu à Huế, la capitale sous les Nguyễn [1], ce qui posait un grand problème pour les candidats venant de loin. Pour s'y rendre, la mer présentait un danger indéniable, mais la route n'était guère plus rassurante : ils devaient escalader des montagnes à pic, passer à gué des rivières, traverser des forêts où pullulaient des bêtes féroces pendant des semaines. C'était une vraie expédition ! |
A partir de Thanh Hóa, la route devint de plus en plus inacessible, mais après Hà Tĩnh, elle fut franchement épouvantable.
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2. Le Centre des concours de Thừa Thiên (Huế) |
Ce centre changeait
de place plusieurs fois. Au départ, il fut construit provisoirement en
torchis, au milieu de la rivière des Parfums, sur des ỵlots. En 1843,
l'empereur Thiệu Trị fit ériger le Centre Ninh Bắc, composé de
21 bâtiments en briques pour les examinateurs, ainsi que sept rangées
de bâtiments dans chacune des quatre divisions pour les candidats. A l'intérieur,
des pupitres étaient installés à l'usage des candidats qui n'avaient
plus besoin d'apporter leur tente. Par la suite, ce centre fut déplacé
encore à An Ninh, puis à La Chử et enfin à Tây Nghị.
Lors du premier concours sous les Nguyễn (1822), on installait dans le Thí Viện [2] un autel laqué d'or portant les sujets choisis par l'empereur. Devant chaque salle de composition, des sentinelles armées d'une épée surveillaient. On mobilisait 600 cavaliers armés de la Garde royale ainsi que 20 éléphants caparaçonnés pour faire la ronde au dehors. Depuis 1826, les éléphants furent supprimés et le nombre des effectifs réduit de moitié, soit 300. |
3. Les candidats |
Le
nombre des concurrents à chaque session variait de 100 à 6-7000. En 1838,
seulement 130 candidats se présentèrent au concours, le nombre d'examinateurs
fut réduit en conséquence.
Etaient autorisés à participer au concours : - tous les cử nhân (licenciés) ; - les huấn đạo (professeurs-adjoints), giáo thụ (professeur) ; - les tôn sinh (membres de la famille royale), ấm sinh (fils de mandarins), giám sinh (élèves boursiers du Quốc Tử Giám [3]) ; - certains tú tài à partir de 40 ans ou ceux qui réussissaient brillamment l'examen éliminatoire. Depuis 1838, à l'exception faite des cử nhân, tous devaient réussir un examen éliminatoire au Quốc Tử Giám pour être admis à concourir. Etaient écartés du concours ceux qui appartenaient à l'une des catégories ci-après indiquées : - les mandarins ayant un grade supérieur au 7e degré ; - les professeurs et professeurs-adjoints à partir du 6e degré ; - les sous-préfets (tri huyện) en fonction, de peur qu'ils ne négligeassent leur charge, absorbés par leur préparation au concours. Les huit cahiers vierges destinés aux quatre épreuves devaient être déposés à l'avance au ministère des Rites, chaque page pouvait comporter huit lignes, chaque ligne 20 mots. Sur la première page on devait préciser son nom, son âge, etc. avec, en plus, l'année de réussite au concours régional.
Sous les Nguyễn, les candidats n'avaient plus besoin d'apporter leur tente et leur pupitre, seulement leur tube à copies et leurs nattes. Par contre, considérés comme des mandarins, ils devaient revêtir leur robe de gradué le jour de l'épreuve. En 1838, l'empereur Minh Mạng tenait à assister en personne au concours. Constatant qu'il faisait un froid glacial, il fit distribuer de l'eau-de-vie aux examinateurs pour les réchauffer, et aux étudiants, des paillassons et des réchauds à charbon. En 1841, il fut décidé que désormais, on fournirait gracieusement le repas de midi aux candidats en témoignage de l'attention particulière de la Cour à l'égard des lettrés. |
4. Les sujets |
Ils
étaient arrêtés un jour avant les épreuves, soit par l'empereur soi-même,
soit par le jury, à sa demande.
En 1822, lors du premier concours de la dynastie des Nguyễn, quand les sujets furent sortis, trois coups de canon retentirent tandis qu'on hissait un drapeau rouge sur l'esplanade du Mât. Puis, les deux tri cống cử (examinateurs) se rendirent chacun à un des deux divisions du Centre pour lire l'énoncé avant de le faire afficher. A titre d'indication, voici les épreuves imposées, à partir de 1856 : Première épreuve : Sept interprétations de textes classiques, il fallait en traiter au moins trois. Deuxième épreuve : Un édit royal (chiếu) et une adresse du peuple au souverain (biểu) comportant chacun au moins 300 mots, plus un exercice de critique de 600 mots. Troisième épreuve : Poésie et prose rythmée (phú). Quatrième épreuve : Douze questions sur les sciences politiques (văn sách), il suffisait d'en traiter huit, soit : quatre sur les livres classiques et canoniques [4], deux sur l'histoire, deux sur la politique actuelle. Comme le sujet de la quatrième épreuve était particulièrement long, pour épargner aux étudiants une perte de temps considérable à le recopier, on décidait plus tard de le faire imprimer pour les distribuer aux candidats. |
5. Le jury |
Il
existait comme au concours régional deux comités d'examinateurs intérieur
et extérieur. Tous étaient désignés par l'empereur.
Selon l'ordonnance royale de 1834, le jury comportait [5] : - un président, mandarin du 2e degré [6] ; - un vice-président, mandarin du 2e degré ; - deux tri cống cử (examinateurs), mandarins du 2e degré ; - dix correcteurs, mandarins du 5e degré ; - deux censeurs, mandarins civils du 2e ou 3e degré qui surveillaient le déroulement du concours ; - quatre inspecteurs du Comité intérieur, qui surveillaient les portes d'entrée et gardaient les clefs des portes intérieures, chargés du maintien de l'ordre ; - un commandant en chef de la patrouille faisant la ronde autour du Centre le jour de l'épreuve, mandarin militaire du 2e degré ; - vingt soldats responsables des malles contenant les copies et les cachets ; - deux secrétaires généraux (đề điệu), mandarins militaires du 3e degré ; - un đằng lục qui recopiait les manuscrits des candidats, mandarin du 6e ou 5e degré ; - un soạn hiệu qui numérotait les cahiers et détachait la page d'identité, mandarin du 6e ou 5e degré ; - un độc quyển qui relisait les doubles des copies, mandarin du 6e ou 5e degré ; - 40 secrétaires ; - 300 cavaliers armés, détachés de la Garde impériale. Un mandarin en costume de Cour |
6. La correction et l'affichage des résultats |
Le
cahier rédigé à l'encre noire était recopié soigneusement en rouge
puis relu par des copistes. Tous ceux qui participaient à ce travail devaient
indiquer leurs noms et leur fonction sur l'original et la copie avant de
signer. On mettait de côté l'original tandis que la copie était envoyée
aux correcteurs du Comité intérieur qui se mettaient d'accord sur la
note à attribuer et co-signaient, la copie était transmise ensuite au
Comité extérieur.
A la différence du concours régional, ici, on additionnait les résultats obtenus au cours des trois ou quatre épreuves, celui qui réunissait suffisamment de notes était appelé trúng cách (reçu) [7]. En 1829, les meilleurs des éliminés recevaient le titre phó bảng. En principe, ils n'étaient pas autorisés à participer à l'examen au Palais impérial. Leurs noms figuraient sur le tableau annexe, peint en rouge. Il n'y avait pas de proclamation solennelle des résultats. Les examinateurs, après s'être agenouillés devant l'autel pour exprimer leur hommage à l'empereur, montèrent sur leur haute chaise devant la porte du Centre des examens. Un officier mandarin du 4e degré affichait les résultats devant la porte aux sons de la musique, tandis que le drapeau impérial flottait sur l'esplanade du Mât. |
II - Concours au palais royal (Thi Đình) |
1. Que signifie Thi Đình ? |
On
le considérait comme la dernière épreuve du concours de doctorat. Il
avait lieu quelques jours après l'affichage des résultats du concours
à la capitale et une semaine environ avant la proclamation solennelle
des résultats finaux.
Seuls les trúng cách étaient autorisés à concourir, les phó bảng n'y étaient admis que par faveur spéciale de l'empereur lorsque le nombre des trúng cách lui paraissait trop réduit. Pour accéder au Palais, les candidats en robe de gradué, guidés par le sous-ministre des Rites, franchissaient la Porte du Midi [8]. Ils étaient fouillés soigneusement par des soldats avant d'être conduits à leur place assignée. |
2. Lieu des concours |
Sous
la dynastie des Nguyễn, le premier concours eut lieu au Palais Cần
Chính (Palais du Gouvernement Diligent), puis on le déplaçait soit au
Palais Thái Hòa (Palais de l'Harmonie Suprême), soit au Palais Khâm
Văn, etc.
Le Palais Thái Hòa se situe dans la Cité impériale (Hoàng Thành)[9]. Pour rendre au Palais Cần Chính dans la Cité pourpre (Tử Cấm Thành), dite aussi Cité interdite, il faut emprunter la Grande Porte dorée (Đại Cung Môn) sur laquelle est gravé un poème qui rappelle au souverain son devoir : "Un homme est appelé à gouverner un peuple, il n'est pas question de rassembler tout le bien du peuple pour servir un homme." |
3. Le déroulement des concours |
Selon la décision
prise en 1856, le jour qui précédait le concours, le ministère des Rites
faisait placer des nattes et des pupitres aux deux ailes du Palais Khâm
Văn. Le jour de l'épreuve, le président du jury en costume de Cour se
présentait devant le Trône, le sous-ministre des Rites introduisait les
candidats qui se mettaient à genoux, face au nord (position du sujet),
pour attendre l'ordre du souverain qui présidait la cérémonie, face
au sud. Une fois l'ordre prononcé, ils se prosternaient cinq fois en signe
de remerciements avant de retourner à leur place pour composer. La distribution
du sujet ne pouvait se faire qu'après la sortie de l'empereur et des examinateurs,
laissant derrière eux les deux censeurs pour surveiller. Lorsque résonnait
le signal de la fin de l'épreuve vers 8 heures du soir, les copies et
les brouillons étaient ramassés pour les remettre aux censeurs.
Pendant le concours, l'empereur faisait servir aux candidats soit du thé, du bétel, soit des friandises afin de marquer son intérêt pour cette élite de ses sujets. Chaque fois, ceux-ci devaient faire leurs prosternations pour le remercier. Ils étaient autorisés à emporter chez eux, y compris la vaisselle, en souvenir de ce jour mémorable. Le repas de midi étant
fourni par le ministère des Rites, ils étaient dispensés des cérémonies
de remerciement.
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4. Le sujet |
La nuit précédente,
l'empereur réunissait les examinateurs pour sélectionner le sujet, puis
le faire recopier et mettre sous pli scellé pour la distribution du lendemain.
Le sujet comportait une dizaine de pages bien remplis, renfermant une centaine de questions. Il se décomposait en deux parties : 1) Questions sur l'art de gouverner des anciens empereurs chinois [10], leurs moyens de lutter contre les catastrophes et leurs mesures de prévention. 2) Questions sur l'administration du gouvernement actuel, les procédés envisagés pour accroỵtre la richesse publique et pour développer la puissance nationale, etc. À titre d'exemple, voici une question de la session 1868 : "Les envahisseurs (Français) deviennent de plus en plus agressifs. Ils dressent dans tout le pays des casernes et des remparts. Faut-il les combattre ou vaut-il mieux faire la paix avec eux ?" |
5. Le jury |
Selon
la décision prise en 1856, le jury comportait :
1 président du jury, mandarin militaire du 2e degré ou au-dessus ; 2 độc quyển (deuxièmes correcteurs), mandarins civils du 3e degré ou au-dessus ; 2 duyệt quyển (premiers correcteurs), mandarins civils du 3e ou 4e degré ; 1 truyền lô, responsable de la proclamation des résultats, mandarin du 3e degré ; 2 kinh dần, chargés du protocole, mandarins du 4e, 5e degré ; 1 di phong, chargé de sceller la malle contenant les manuscrits, mandarin du 4e ou 5e degré ; 1 thủ chưởng, responsable de la malle des copies, mandarin du 4e ou 5e degré ; 1 ấn quyển, chargé de mettre le cachet sur la dernière page du devoir avant de le ranger dans la malle ; 6 đằng tả (copistes) ; 2 tuần la, commandant la brigade des patrouilleurs, détachée de la Garde royale ; 2 tuần sát, sous-officiers de la Garde royale. |
6. La correction |
Les
devoirs étaient rédigés à l'encre noire. Sur la première page du manuscrit,
à part son nom, son âge, etc. le candidat devait indiquer son classement
sur la liste des reçus au concours précédent, et la date du concours
au Palais.
La composition terminée, les cahiers étaient ramassés par des soldats. Les tuần la les transmettaient aux secrétaires généraux pour le détachement de la page d'identité. Ensuite, les nghè bút thiếp [11] les recopiaient avec soin à l'encre rouge. L'original était mis dans une boỵte scellée, les examinateurs corrigeaient les copies, d'abord les duyệt quyển, ensuite les độc quyển qui se mettaient d'accord sur la note à attribuer, co-signaient, puis les classaient par ordre de mérite avant de les faire identifier. La liste des lauréats proposés était transmise à l'empereur qui réexaminait tout avant de prendre la décision finale [12]. Ensuite, les copies étaient retournées au jury qui les communiquait au ministère des Rites pour la préparation des costumes à distribuer et pour fixer la date de la proclamation des résultats. Les reçus étaient classés en trois catégories. 1) Les Docteurs du premier degré (Nhất giáp Tiến sĩ), subdivisés en trois classes : première classe : Trạng nguyên ; deuxième classe : Bảng nhãn ; troisième classe : Thám hoa. En général, pour chaque classe, un seul candidat est admis. 2) Les Docteurs du deuxième degré (Nhị giáp Tiến sĩ). Leur nombre n'était pas fixé, le premier d'entre eux s'appelait Hoàng giáp. 3) Les Docteurs du troisième degré (Tam giáp Tiến sĩ), les plus nombreux. Leur nombre n'était pas limité. Sous les Nguyễn, on prit, en général, à chaque session, une vingtaine de reçus seulement, Phó bảng y compris. D'après Trần Văn Giáp, en tout et pour tout, le Vietnam a organisé 187 concours de doctorat, avec 2.991 reçus. Les Nguyễn instituaient 47 concours régionaux (5.226 admis) et 38 concours de doctorat (558 reçus).
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7. La Proclamation solennelle des résultats (Truyền lô) |
Il
s'agissait de la proclamation des résultats du concours de doctorat. Le
sous-ministre des Rites lisait à haute voix le nom, l'âge, le village
natal du lauréat, des officiers de la Garde impériale les répétaient
à tour de rôle pour que tout le monde pût les entendre, même de loin.
Les reçus, revêtus de leur costume de docteur, s'agenouillaient dans
la cour devant la salle d'audience pour écouter la Proclamation.
En 1822, la cérémonie, présidée par l'empereur en présence des mandarins dans leur tenue d'apparat, se passait au Palais Thái Hòa. Parfois, elle avait lieu à la Porte du Midi. Le ministre et le sous-ministre des Rites se tenaient des deux côtés d'un Long Đình (autel avec toiture) portant l'ordonnance royale. Le sous-ministre lisait le palmarès, les noms des lauréats étaient répétés par des Gardes. Les nouveaux docteurs recevaient leur costume de la main du sous-ministre qui les avait pris sur une table placée derrière le Long Đình. Revêtus de leur costume tout neuf, ils se rendaient au Palais Cần Chính pour faire leurs prosternations rituelles de remerciement à l'empereur. En 1841, le costume d'un docteur du premier degré, première classe, comportait : - un bonnet orné d'une plaque en argent, d'une fleur en or en avant et d'une fleur en argent en arrière ; les ailes étaient garnies d'argent ; - un bandeau pour les cheveux ; - une robe verte en soie brochée aux grandes fleurs, l'empiècement pectoral en drap rouge brodée de nuages multicolores et d'un faisan blanc ; - une tunicelle en soie d'Annam bleue bordée de broderies représentant des nuages ; - une ceinture en corne entourée de drap rouge garnie de trois médaillons en argent et vermeil recouverts de feuilles d'écailles de tortue et de sept plaques de cuivre recouvertes de corne noire ; - une tablette d'ivoire gravée en caractères d'or son titre et son nom ; - une paire de socquettes de soie blanche ; - une paire de bottes noires. Le jour de la proclamation des résultats, le tableau des reçus était affiché au Phu Văn Lâu, devant la Porte du Midi, pendant trois jours, puis envoyé au Quốc Tử Giám. La liste des sous-admissibles (phó bảng) figurait sur un tableau laqué en rouge, placardé pour un jour, à droite de la cour du Phu Văn Lâu. Elle n'était pas conservée. |
8. Le banquet |
Deux
ou trois jours après, le jury et les nouveaux docteurs remerciaient l'empereur
pour les bienfaits reçus, puis participaient au banquet organisé au ministère
des Rites ou au Jardin Thư Quang, en leur honneur.
Depuis 1835, les docteurs du premier degré ainsi que les hauts mandarins membres du jury étaient récompensés chacun d'une épingle à cheveux en vermeille. Les docteurs du deuxième et du troisième degrés recevaient chacun une épingle en argent. Les mandarins de rang inférieur avaient droit chacun à une petite épingle en argent. En outre, les docteurs étaient octroyés chacun un drapeau indiquant son nouveau titre ("Docteur du premier degré, deuxième classe", par exemple) et un écriteau sur lequel étaient gravées en lettres d'or son nom, son titre, son village natal et les quatre mots "Sắc tứ vinh quy" (Retour glorieux par la grâce de l'empereur). Le lendemain, les nouveaux docteurs adressaient chacun un placet de remerciement à l'empereur, puis se rendaient au Quốc Tử Giám pour la cérémonie devant l'autel de Confucius, considéré comme le fondateur de la doctrine Nho. |
9. Promenade au Parc impérial |
Les nouveaux docteurs,
à cheval et en tenue d'apparat, accompagnés de parasol et guidés par
le ministre des Rites et le président du jury, étaient autorisés à
visiter le Parc impérial. Selon l'usage, il leur était permis de cueillir
une fleur dont l'orfèvre de l'empereur ferait une réplique exacte en
or pour orner leur bonnet, au-dessus de l'oreille gauche. Des plaisantins
affirment qu'un certain docteur avait choisi une fleur de bananier [13].
On raconte aussi qu'une princesse chinoise, fille de l'empereur Han Wudi,
pour sélectionner un mari, lança du haut de son balcon une balle multicolore,
le docteur touché par la balle fut son élu.
De nos jours, les concours sont abolis, et il n'existe plus d'empereur ni de parc impérial, mais le poète Nguyễn Bính nous a laissé ces vers nostalgiques qui les font revivre dans nos coeurs : ...
Le Jardin impérial de naguère a disparu
Après cette ballade au parc, les docteurs continuaient avec la visite de la capitale, toujours encadrés par le ministre des Rites et le président du jury. |
10. Les stèles des docteurs |
On perpétue les noms
des docteurs de chaque session en les faisant graver sur une stèle érigée
au Temple de la Littérature.
Les stèles du Temple d'Hanoi sont placées des deux côtés du lac Thiên Quang. En 1484, l'empereur Lê Thánh Tông fit installer les premières stèles des docteurs, en remontant jusqu'à la session de 1442. Des guerres et des intempéries ont eu raison de certaines d'entre elles. Sur les 110 érigées, il n'en reste que 82. Si l'on tient compte aussi des trois stèles gravées sous les Nguyễn, le Temple possède en tout 85 stèles [15].
Sur la face de la stèle, on lit les noms des docteurs, leur âge, leur village natal, leur titre, par ordre de mérite ; à l'envers, un texte relatant le déroulement de l'examen ainsi qu'une apologie adressée à l'empereur pour avoir fait organiser l'examen permettant de recruter les sages au service de la nation. Chaque stèle est portée par une tortue, symbole de longévité. Extrait du discours gravé sur la stèle de la session de 1487, rédigé par Thân Nhân Trung [16] : "La renommée et la réalité doivent concorder... Il ne s'agit pas de déployer son beau style, qui n'est qu'un verni superficiel, alors que sa vertu laisse à désirer ; des études et des conceptions erronées, une conduite déplorable, une vaine réputation ne font que souiller cette pierre. Un homme qui manque à son devoir envers son empereur et envers ses parents, par exemple, mérite qu'on radie son nom de la stèle." [17] |
11. Le retour glorieux |
Dès
le premier examen sous les Nguyễn (1822), le ministère des Rites fournissait
aux lauréats des chevaux de relais qui les reconduisaient jusqu'à leur
province natale. Le gouverneur de la province réquisitionnait un peloton
pour accompagner le cortège. Selon son gré, le docteur pouvait décider
de s'arrêter à un endroit afin de rendre visite aux personnages illustres,
ou à un site réputé. A l'heure du repas, le village où il s'était
arrêté devait fournir un banquet dont la dépense était imputée aux
riches qui se considéraient comme particulièrement honorés d'avoir un
si remarquable hôte.
Depuis 1901, les phó bảng recevaient aussi les mêmes faveurs.
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Cette fois, c'était l'aller, point n'était besoin de respecter l'ordre protocolaire. Le cortège était resserré par endroit, espacé à d'autres, les drapeaux, les écriteaux, les parasols, etc. ne se tenaient pas droit, certains pointaient vers le haut, d'autres vers le bas.
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12. Au village natal |
La porte du village
natal était décorée de fleurs et de feuillage tressés en guirlandes.
Les autorités locales en tenue de fête attendaient le nouveau lauréat
avec un autel rempli de fleurs, d'encensoirs, de candélabres, etc. De
nouveau, on tirait les pétards. Le docteur descendait de son palanquin
pour saluer les dignitaires avant de rentrer chez lui informer respectueusement
ses ancêtres de ses nouveaux succès et honneur devant l'autel des ancêtres.
Parchemin, bannière, tablette, etc. octroyés par l'empereur étaient
déposés sur l'autel.
Le lendemain, il va à la maison communale et au Temple de la Littérature pour les prosternations rituelles. Puis c'était le défilé sans fin des villageois, des parents et amis qui se déplaçaient même de loin pour venir féliciter le nouveau lauréat et le combler de cadeaux : bétel, thé, alcool de riz, pétards. Sentences parallèles, bannières... remplissaient la maison et décoraient tous les murs. Le docteur organisait des festivités pendant plusieurs jours pour accueillir ses hôtes. On tuait à cette occasion des dizaines de buffles, de bufs, de cochons, sans compter les volailles. La maison ne suffisait pas, on installait des tentes dans la cour pour avoir de la place. A la nuit tombante, une représentation du théâtre populaire ajoutait une note de gaỵté aux festivités. |
13. Les autres privilèges du docteur |
Dans l'ancien temps,
après le Retour glorieux, le docteur pouvait choisir un emplacement dans
son canton pour y faire bâtir sa maison. Les habitants du canton étaient
réquisitionnés pour construire cette maison en brique, large de trois
travées environ.
Les nouveaux docteurs devaient rester au Bureau des archives historiques pendant trois ans afin de se perfectionner en littérature, au sens large, et en sciences politiques, en attendant leur nomination. Depuis 1856, selon leur grade, chacun d'eux recevait mensuellement de trois à cinq ligatures d'argent ainsi que trois livres d'huile environ pour leur lampe. Le docteur jouissait de tant d'honneurs et d'apanages que les familles riches se bousculaient pour lui offrir la main de leur fille. De leur côté, les jeunes filles préféraient "le pinceau et l'encrier" du lettré pauvre aux "rizières immenses et étangs alignés" des rustres [18]. Longtemps après l'abolition des concours, elles continuaient à déclarer "sans études supérieures, point de mariage !" |
Conclusion |
Aucun
système, si bien conçu soit-il, ne résiste à l'épreuve du temps. Les
concours n'échappaient à cette règle. Les raisons du déclin des concours
au Vietnam sont multiples, en voici les principaux :
- Les privilèges nombreux incitaient les lettrés à rechercher la réussite personnelle plutôt que le but initial : se dévouer aux intérêts publics. Les mandarins intègres disparaissaient peu à peu et remplacés par des ambitieux sans scrupules ; - Trop d'admiration pour la culture chinoise les conduisait à considérer les autres civilisations comme barbares. Convaincus de leur supériorité, ils répugnaient à admettre une faille dans leur système, demeuraient hostiles aux réformes et à l'ouverture vers l'Occident, s'enfermaient dans une ignorance quasi totale du monde extérieur ; - Habitués à valoriser d'une façon excessive les qualités intellectuelles, ils méprisaient l'usage de la force. Les mandarins militaires étaient considérés comme valables uniquement pour leurs bicepts mais ignares, de loin inférieurs aux mandarins civils. La défaite militaire devant l'armée française entraỵnant la perte de l'indépendance contribuait à jeter le discrédit sur les concours qui formaient des mandarins incapables de défendre le pays malgré leur courage et leur dévouement. Des mandarins comme Hoàng Diệu, Nguyễn Tri Phương qui n'hésitaient pas à se suicider plutôt que de se rendre à l'ennemi n' étaient pas rares. L'enseignement traditionnel, pour sclérosé qu'il était, avait cependant le mérite de former une classe de dirigeants qui, par leur savoir et leur conduite, avaient gagné la confiance et l'estime du peuple, jouissaient d'un prestige dont bénéficient encore les intellectuels de nos jours. Pierre Pasquier raconte, dans L'Annam d'autrefois, qu'un jour, en 1898, avec le Résident à Cầu Đơ (Hanoi), ils furent surpris par un "tintamarre effroyable". Il s'agissait d'une procession accompagnant un mandarin en palanquin avec étendards et musique... La foule s'arrêta devant la Résidence. Un homme s'avança et après profondes salutations, formula une requête surprenante : "Nous sommes les chefs et sous-chefs du huyện Phú Xuyên. Notre sous-préfecture compte parmi ses habitants un grand nombre de lettrés, de cử nhân, voire même de tiến sĩ. Il n'est donc pas admissible que notre nouveau quan huyện soit moins lettré et moins diplômé que nous-mêmes. Or, le nouveau quan huyện n'est même pas un tú tài. Il ne peut décemment nous donner des ordres. C'est dans l'intérêt de l'administration que nous vous ramenons le nouveau quan huyện en vous priant de vouloir bien le remplacer par un mandarin lauréat d'un concours triennal, ce dont nous vous serions dix mille fois reconnaissants". Ce sous-préfet était, en effet, sans instruction et avait été nommé à ce poste uniquement pour services rendus au Protectorat. Il s'empressa de découvrir une maladie grave et subite qui le força à demander congé. |
_______________ |
[1]-
La
capitale, sous les Lê, était Thăng Long (Hanoi).
[2] - Siège du Comité extérieur (voir : Le jury). [3] - Quốc Tử Giám : Ecole des Enfants de la Nation. N'y sont admis que les boursiers, fils de mandarins ou membres de la famille royale. [4] - Les Quatre livres classiques sont : La Grande Etude (Đại học) ou l'art d'éduquer le peuple ; Les entretiens de Confucius avec ses disciples (Luận ngữ) ; La doctrine du Milieu (Trung Dung) ; Le livre de Mencius (Mạnh Tử ). Les Cinq livres canoniques sont : Le livre des Mutations (Kinh Dịch) ; Le livre des Odes (Kinh Thi) ; Le livre des Rites (Kinh Lễ) ; Le livre des Annales (Kinh Thư) ; Le livre du Printemps et de l'Automne (Kinh Xuân Thu). Voir : "Concours de mandarins", http://chimviet.free.fr/giaoduc/chquynh/thihuong_francais/chquynh_thihuong_francais.htm [5] - Ce chiffre était variable selon les circonstances. [6] - A titre indicatif, voici le traitement des examinateurs pour une session : un président recevait 80 ligatures et 15 mesures de riz (une mesure = 30 bols de riz cru) ; un vice-président : 70 ligatures et 12 mesures de riz ; un tri cống cử : 55 ligatures et 10 mesures de riz ; un correcteur : 30 ligatures et 6 mesures de riz ; un censeur : 40 ligatures et 8 mesures de riz ; un régisseur : 40 ligatures et 8 mesures de riz ; un đăng lục, soạn hiệu, etc. : 25 ligatures et 5 mesures de riz ; un secrétaire : 8 ligatures et 3 mesures de riz. En 1803, le traitement mensuel d'un ministre était de 30 ligatures et 20 mesures de riz ; celui d'un sous-ministre : 30 ligatures et 10 mesures de riz. [7]- Au début, on les notait selon le système des concours régionaux : Très Bien (Ưu), Bien (Bình), Passable (Thứ), Nul (Liệt). Depuis 1829, on les notait de 0 à 10, puis à partir de 1910, de 0 à 20. [8] - La Porte du Midi est l'une des quatre entrées de la Cité impériale, la principale. Elle ne s'ouvrait qu'aux événements importants, lors de la réception d'un ambassadeur par exemple. Elle est surmontée d'une galerie, appelée Galerie des Cinq Phénix (Lầu Ngũ Phượng), lieu où l'empereur présidait aux parades militaires ou à une proclamation solennelle des résultats des concours de doctorat, accompagné de mandarins en tenue de Cour, devant la foule assemblée. C'est ici que l'empereur Bảo Đại, dernier empereur des Nguyễn, effectua la cérémonie de passation du pouvoir en 1945. [9] - La capitale Huế est entourée de trois enceintes : la première, à l'extérieur, est une enceinte fortifiée (Kinh Thành) ; la deuxième s'appelle l'enceinte de la Cité impériale (Hoàng Thành) ; la troisième abritant les palais impériaux se nomme l'enceinte de la Cité pourpre interdite (Tử Cấm Thành). [10] - Réputés pour leur sagesse. [11] - Au Vietnam, on appelle aussi les docteurs "ông nghè". Mais les "nghè bút thiếp" étaient de simples copistes chargés de recopier les compositions des docteurs aspirants. [12] - Les candidats étaient autorisés à récupérer leur copie, pas l'original, où figurait l'appréciation de l'empereur à l'encre rouge appelée "châu phê". [13] - Une fleur de bananier donne naissance à un régime de six ou sept mains, chaque main à une quinzaine de bananes. [14] - Il s'agit de la commune qui s'appelle "Jardin impérial". [15] - Les autres stèles érigées sous les Nguyễn se trouvent au Temple de la Littérature de Huế. [16] - Thân Nhân Trung, reçu major au concours de doctorat en 1469 et nommé ministre des Fonctionnaires. [17] - Phan Thanh Giản, ministre et ambassadeur en France en 1863, eut son nom effacé de la stèle par l'empereur Tự Đức pour avoir cédé les trois provinces du Sud à la France après des défaites successives de l'armée annamite. Plus tard, l'empereur Đồng Khánh le rétablit à son grade. [18] - Dans l'espoir d'être un jour femme d'un docteur frais émoulu et partager son honneur au cortège du Retour glorieux. |
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