Chim
Việt Cành Nam
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I - Que signifient concours de mandarins ? |
1. Introduction |
Grâce à un système élaboré
d'éducation et de concours, l'Annam [1]
d'hier était considéré comme un pays de civilisation avancée. Ce système
plusieurs fois séculaire a été aboli il n'y a pas longtemps, cependant,
beaucoup d'entre nous ignorent, de nos jours, ce que représentaient ces
concours, ou bien nous ne les prenons pas au sérieux, ou bien nous les
jugeons sévèrement. Pourquoi ?
Autrefois, la société annamite se répartissait, en gros, en deux classes : les mandarins et le peuple, les premiers secondaient l'empereur dans sa tâche administrative. De formation confucéenne, ils étaient, en général, recrutés sur concours sévères. Cependant, un autre mode de recrutement, appelé "Cống cử" ou "Bảo cử" existait parallèlement : sur proposition des mandarins, des hommes de talent et de bonne réputation morale pouvaient être directement nommés à de hauts postes. Mais ce système avait l'inconvénient de ne pas fournir suffisamment d'hommes à la machine gouvernementale, car les mandarins risquaient d'être sévèrement punis s'ils présentaient des hommes de peu de valeur. Les concours permettaient de combler cette lacune. Ceux-ci firent leur apparition en Chine dès le IIe siècle avant J.-C., à partir du VIe siècle, leur système était déjà perfectionné. Sous l'influence chinoise, le Vietnam, la Corée et le Japon organisaient tour à tour leurs propres concours, l'Europe adoptait également ce mode de recrutement à partir du XIXe siècle. [2] Pendant l'occupation chinoise (111 av. J.-C.-938), la civilisation Đông Sơn, propre aux Việt, fut pratiquement détruite par les dominateurs. Le chinois fut imposé comme langue écrite officielle. Cependant, les Annamites qui souhaitaient passer des concours de haut niveau devaient se rendre en Chine, et l'empereur chinois entendait limiter leur nombre : en 845, le règlement stipulait que les candidats, originaires d'Annam, aux concours des Docteurs ne devaient pas dépasser le nombre de 8. Dès le début de notre indépendance, l'empereur Lý Nhân Tông institua, en 1075, le premier concours, en s'inspirant des modèles chinois. Petit à petit, les dynasties suivantes : Trần, Hồ, Lê, Mạc, Nguyễn, remanièrent sans cesse le système afin de l'adapter aux besoins du pays. Ces concours atteignirent leur apogée au XVe siècle, sous le règne de Lê Thánh Tông. A partir du XVIIIe siècle, commença leur déclin. Les concours furent abolis en 1919. |
2. La doctrine confucéenne (Đạo Nho) |
La doctrine Nho préconisait
un gouvernement stable basé sur une hiérarchie sociale dont l'empereur
était le chef suprême, d'où la faveur et la protection des souverains
qui l'adoptèrent comme programme des concours de mandarins.
Morphologiquement, "Nho" se décompose en deux mots qui signifient respectivement "homme" et "besoin", ce dernier a un deuxième sens : attendre. "Nho" désigne par conséquent un homme dont on aura toujours besoin et qui attend qu'on lui propose une charge publique. La doctrine Nho remonte au règne de l'empereur Fuxi (4480-4365), Confucius (551-479), considéré comme le fondateur de cette doctrine, appelée aussi confucianisme, en avait seulement fait un système cohérent et codifié. Nos anciens ne vénéraient que les grands hommes qui se dévouaient aux intérêts publics et non ceux qui possédaient un vaste savoir, ou un talent indéniable mais qui ne rendaient aucun service à la société. La doctrine Nho se propose de former une classe de dirigeants constituée d'hommes instruits, capables et vertueux qu'on appelle les "quân tử" [3]. Il s'agit d'une morale agissante. En temps normal, le lettré vise à assumer une fonction officielle pour remplir sa haute mission d'homme supérieur, de guide éclairé du peuple. Lorsque le pouvoir passe aux mains des hommes ambitieux et sans scrupules, il a intérêt à se démettre de sa charge pour ne pas avoir à s'associer à un régime criminel. Dans ce cas, il se consacrera tout naturellement au professorat, s'efforçant de former la génération suivante. Les deux préoccupations principales de cette doctrine sont : l'éducation et l'administration. L'éducation apprend à l'homme la raison, tandis qu'une administration bienfaisante, inspirée par la vertu, apportera la paix et la stabilité à l'Etat. Un gouvernement stable doit maintenir une ordonnance hiérarchique, sinon il court au désordre et à l'anarchie. Par conséquent, la famille, comme la patrie, doit avoir un chef. L'empereur est le chef qui détient l'autorité suprême du pays. Il règne avec le concours des mandarins qui ne sont pas de simples agents d'exécution. Le peuple doit obéir à l'empereur, cependant le "Fils du Ciel" doit aussi remplir son devoir envers ses sujets : il a pour mission de les éduquer, de veiller à leur bonheur et au maintien de l'ordre et de la prospérité de l'Etat. S'il manque à son devoir, ou s'il outrepasse ses droits, il risque de mécontenter le "Souverain d'En-Haut" qui considère le peuple comme ses propres sujets et l'empereur comme son délégué humain qui est là pour servir son peuple. Un prince dépourvu de scrupule sera tôt ou tard renversé [4]. Confucius part du principe que l'homme est né bon, c'est l'éducation et les moeurs qui rendent les uns bons, les autres mauvais. Il appartient à un bon administrateur de régenter les moeurs, de les purifier, pour rendre l'humanité meilleure. L'éducation est extrêmement importante car elle montre aux hommes le droit chemin et arrive ainsi à empêcher un acte criminel en son germe ; par contre, la loi ne peut punir un coupable qu'une fois son crime accompli, cependant l'inculpé ne ressent aucune honte d'avoir mal agi ; de ce fait, la doctrine Nho préfère l'éducation aux sanctions. Le lettré apprend donc à se parfaire avant de penser à gouverner le pays, ou à pacifier le monde ; car un mandarin qui incite son peuple à pratiquer la vertu civique ne sera pas obéi si lui-même ne se conduit pas en modèle de vertu. Telle est la doctrine Nho, mais dans la pratique, de moins en moins nombreux étaient ceux qui l'appliquaient consciencieusement. |
II - Formation des lettrés |
1. La cérémonie d'Ouverture du Coeur (Khai tâm) |
Khai = ouvrir ; tâm
= coeur, organe de la réflexion.
Khai tâm signifie apprendre à l'enfant à garder le coeur ouvert à la Raison afin d'avoir une perception juste des choses, à ne pas laisser les passions (ambitions, joie, colère, douleur, etc.) suivre leur pente car elles perturbent et dégradent le coeur. L'esprit nous induit souvent en erreur : son goût pour l'analyse nous amène fréquemment à une connaissance fragmentaire de la vérité tandis que l'intuition nous offre une vue globale qui va immédiatement au coeur des problèmes. Bien plus, l'esprit peut facilement défendre son erreur par une fausse logique. D'où la préférence accordée à l'éducation morale, à la formation du coeur au détriment de l'esprit. La Cérémonie d' "Ouverture du Coeur" ne marque pas seulement le premier jour où l'enfant s'initie aux belles lettres, mais elle souligne surtout l'importance du jour où l'enfant apprend à devenir un homme vertueux et utile à la société. A cette occasion, on dressait au milieu de la cour (ou au milieu de la maison) un autel couvert de chandelles, de fleurs, de fruits, d'offrandes de toutes sortes et on brûlait des baguettes d'encens. En général, c'était le maître d'école, ou le chef de famille, qui officiait et présentait symboliquement le nouveau disciple à Confucius. L'enfant le suivait, faisait ses prosternations rituelles. Devant l'autel des ancêtres [5] bien astiqué et couvert lui aussi d'offrandes, le père en costume de cérémonie se prosternait pour informer les ancêtres de son intention de mettre l'enfant à l'école et sollicitait leur bénédiction afin que l'enfant réussît dans ses études [6]. En ses plus beaux atours, celui-ci l'imitait, et la première leçon commençait aussitôt. |
2. L'inscription (Nhập môn) |
Nhập = entrer ;
môn
= porte.
Elle s'effectuait avec le même cérémonial. L'élève suivait ses parents pour se rendre chez le maître du village, accompagné de cadeaux traditionnels : alcool de riz, thé, bétel, riz glutineux et poulet... pour s'inscrire. Accepté, il devait se prosterner deux fois devant le maître pour la cérémonie Nhập môn. Les frais d'études étaient souvent très symboliques, mais l'élève ne devait jamais oublier d'apporter des "cadeaux" au maître les jours de fête. A- Le maître Il s'agissait d'un obscur lettré qui n'avait pas encore réussi aux concours et qui gagnait sa vie en donnant des leçons aux enfants, en se faisant écrivain public... On l'appelait "hàn nho" ("lettré pauvre") par opposition à un "hiển nho" ("lettré honoré", c'est-à-dire un mandarin ayant réussi aux concours). Un "ẩn nho" était un lettré qui préférait vivre caché et dédaignait la carrière des honneurs. Quelle que soit la catégorie à laquelle ils appartenaient, les lettrés poursuivaient les mêmes buts : faire de soi un modèle de vertu, se consacrer à l'intérêt public et éduquer les jeunes. Le peuple rendait hommage à la supériorité de leur savoir autant qu'à leur vertu, les estimait, les respectait et les écoutait. Parce qu'il propageait le grand savoir et la doctrine morale, le maître d'école était vénéré bien qu'il ne détint pas une fonction officielle. Il était placé au-dessus du père biologique, car il se chargeait de faire de l'enfant un homme utile à la société, il était son père spirituel. En signe de reconnaissance, les élèves lui devaient respect, lui apportaient une aide matérielle de son vivant, et à sa mort, portaient son deuil. Si le maître n'avait pas d'héritier, ils se réunissaient chez le président de l'Association d'anciens élèves pour commémorer l'anniversaire de sa mort jusqu'à la fin de leur vie. Un proverbe vietnamien disait qu'un bon maître était celui qui détenait un grand savoir et qui "châtillait bien" ses élèves. Car s'il ne se montrait pas sévère, il manquerait à son devoir. C'est ainsi que, à côté de son pinceau et de son encrier, chaque maître s'était muni d'un long fouet, inmanquablement. "Qui aime bien, châtie bien". B- L'élève Le maître austère et les leçons rébarbatives ne plaisaient pas plus au jeune Vietnamien qu'à n'importe quel petit garçon du monde entier. L'élève vietnamien manifestait plutôt une tendance si irrésistible à chahuter que sa turbulence devint proverbiale : "Sont à craindre : en premier lieu, les esprits, en deuxième lieu, les fantômes, et en troisième lieu, les élèves". Même le jeune et surdoué Lê Quý Đôn [7] n'échappait pas à cette règle. Enfant précoce, il passait pour n'être pas très studieux, réprimandes et exhortations glissaient sur lui, il n'en avait cure. Un jour, un ami de son père leur ayant rendu visite, lui imposa un sujet de poème "Têtu et fainéant", histoire de le taquiner un peu tout en sondant sa vivacité d'esprit. L'enfant, alors âgé de six ans, improvisa un poème encore célèbre de nos jours. Ce poème improvisé répond à tout point de vue aux règles de la versification, avec introduction, développement, conclusion, parallélisme des vers, tons montants et descendants, etc. A première vue, l'enfant affecte ostensiblement de faire amende honorable ; en fait, le traître tire profit du jeu de mot impliqué dans le sujet ("rắn đầu" = têtu, mais "rắn" = serpent, reptile) pour s'amuser à introduire le nom d'un serpent dans chaque vers, une vraie prouesse ! Que voulez-vous, on n'est pas sérieux quand on n'a que six ans ! |
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3. Les études |
A- L'éducation morale
est primordiale (Tiên học lễ)
Tiên = d'abord ; học = apprendre ; lễ = littéralement : codes de conduite. Au sens large du mot, "lễ" englobe à la fois le pouvoir impérial et le mode de réglementation du comportement humain, y compris les règles de l'étiquette. "Science sans conscience n'est que ruine de l'âme" (Rabelais). Pour commencer, l'enfant apprenait d'abord à être un "quân tử" afin de remplir correctement sa future mission de guide moral du peuple. Au maintien calme et digne, dominé par le culte de l'honneur, de la courtoisie, du noble désintéressement, le "quân tử" réalisait l'idéal traditionnel et agissait par simple rayonnement. On inculquait donc des préceptes moraux élémentaires à l'enfant, qui s'appliquait à les pratiquer quotidiennement : vivre en harmonie avec sa famille, se montrer déférent envers ses aînés, aimable et accommodant à l'égard de ses cadets, etc. L'enseignement confucéen propose l'étude du Livre des Odes et celui des Annales pour développer l'esprit et nourrir les sentiments. Le Livre des Rites assagit les passions, sert comme règles modératrices de l'homme, renforce son sens de la discipline et celui de la hiérarchie. Enfin, pour parachever l'éducation de l'enfant, l'étude de la musique rapproche et harmonise les relations humaines quelque peu refroidies par une observation rigide et formelle des codes dictées par l'enseignement rituel qui proscrit toute familiarité. En raison du culte de la vertu, chaque phrase implique une leçon de morale parfois d'un niveau très élevé, sans tenir compte de l'âge de l'élève. L'essentiel pour l'enfant est de bien enregistrer ces notions qui mûriront dans son esprit. L'enseignement des nombres contribue à consolider le même but. Lorsque l'enfant apprend le chiffre 3, on lui enseigne en même temps que ce chiffre représente le Ciel, la Terre et l'Homme, ou qu'il symbolise les trois relations sociales les plus importantes, à savoir : relations entre l'empereur et ses sujets, entre les parents et leurs enfants, entre le mari et sa femme. Le chiffre 4 symbolise les quatre points cardinaux ; le chiffre 5, les cinq éléments de la nature (métal, eau, feu, bois, terre), etc. L'instruction morale et civique était recommandée au détriment de l'étude des sciences. Nos ancêtres s'intéressaient aux liens qui reliaient l'homme à l'univers, persuadés que le bonheur de l'homme résidait dans une vie en harmonie avec la nature. Tandis que les Occidentaux cherchent à maîtriser la nature, les Orientaux visent à se maîtriser, estimant que si l'on réussit à vaincre la nature mais pas soi-même, on ne trouvera pas forcément le bonheur. L'enfant apprenait donc surtout à scruter sa vie intérieure pour la contrôler. B- La formation de l'esprit est secondaire (Hậu học văn) Hậu = après ; học = apprendre ; văn = littérature, mais au sens large "văn" embrasse aussi bien les sciences politiques, économiques que la philosophie, l'astrologie, la métaphysique... et les études littéraires. Les études proprement dites : 1. Etudes primaires : vers l'âge de cinq ou six ans, l'enfant fréquentait l'école du maître du village. Il débutait avec le "Tam tự kinh" = le livre (des phrases) de trois caractères (livre chinois), ou le "Nhất thiên tự" = le livre de mille caractères, le "Tam thiên tự" = le livre de trois mille caractères (livres vietnamiens). Les phrases rimées facilitaient la mémorisation des leçons. Pour apprendre à écrire, il se servait d'une planche en bois sur laquelle étaient gravés des idéogrammes chinois ; plus habile, il retracerait des mots écrits en rouge dans son cahier. 2. Etudes secondaires : vers neuf ans, tout en continuant avec le même maître, il abordait les quatre livres classiques (Tứ thư) et les cinq livres canoniques (Ngũ kinh), s'exerçait à composer des vers, des sentences parallèles faciles [8] et s'initiait à l'art de la rhétorique et de l'éloquence. Puis il passait à l'étude des "Cent Ecoles" pour enrichir sa panoplie culturelle [9] avec l'histoire, la philosophie, l'astrologie, la poésie classique des Tang, etc. 3. Etudes supérieures : vers treize ans, il quittait son maître pour se rendre sans un établissement public que tenaient les huấn đạo (professeurs adjoints) ou giáo thụ (professeurs) dans les phủ (préfecture) ou huyện (sous-préfecture) ; puis, au Collège du Đốc học (Directeur de l'enseignement dans une province) pour les études approfondies et pour s'entraîner aux diverses formes exigées aux concours [10]. Il pouvait aussi s'adresser à un mandarin en retraite, ou un lettré de haut renom qui dirigeait une école libre. Là, il suivait quotidiennement les cours, ou ayant déjà été avancé dans ces exercices préparatoires, il pouvait recopier les sujets pour les rédiger à loisir chez lui. Le professeur corrigeait les compositions, sélectionnait quelques devoirs brillants et les faisait lire à haute voix devant tous les étudiants assemblés, c'est ce qu'on appelait un "bình văn" (commentaire des meilleures copies). Avant chaque concours, le professeur organisait souvent des examens blancs et acceptait que d'autres étudiants se joignent aux siens dans la compétition. Les mandarins et les lettrés locaux étaient invités à faire partie du jury. Lorsqu'un étudiant se présentait aux concours, il possédait, en principe, à part les livres classiques, un vocabulaire chinois suffisant, des notions théoriques en sciences politiques, et se montrait capable d'observer les subtilités du coeur. a. Les livres au programme - Le "Tứ thư" se compose de quatre livres classiques : 1) La Grande Etude (Đại học) se résume dans l'art d'éduquer le peuple et la réforme des moeurs. 2) Les Entretiens de Confucius avec ses disciples (Luận ngữ) abordent des sujets divers. Le Maître leur enseigne l'art de se perfectionner. 3) La Doctrine du Milieu (Trung dung) préconise que la voie du Milieu est à suivre constamment. 4) Le Livre de Mencius (Mạnh Tử) (373-289 av. J.-C.) met l'accent sur la bonté naturelle de l'homme. En politique, Mencius estimait que l'opinion du peuple était à considérer avant tout. - Les cinq livres canoniques (Ngũ kinh) sont : 1) Le Livre des Mutations ou Livre des Changes (Kinh Dịch) est un antique ouvrage de divination en même temps qu'un traité philosophique. Il remontait à l'empereur Fuxi, Confucius se bornait à l'interpréter. 2) Le Livre des Odes (Kinh Thi) est un recueil de cantates officielles et de chants populaires anciens qui nous renseignent sur les moeurs et les aspirations du peuple de l'époque. 3) Le Livre des Rites (Kinh Lễ) expose le cérémonial à observer en famille et à la cours, etc. 4) Le Livre des Annales (Kinh Thư) étudie la sagesse du gouvernement des anciens empereurs chinois. 5) Le Livre du Printemps et de l'Automne (Kinh Xuân Thu) est une chronique de la principauté de Lu (patrie de Confucius) entre 722 et 481 av. J.-C. Le Maître se servait de l'histoire comme prétexte pour commenter la conduite des hommes politiques et y exposer sa conception d'un bon gouvernement. (Au début, ce titre symbolise une année, à la longue, il désigne tous les ouvrages d'histoire qui relatent les faits annuellement.) La plupart des livres enseignés étaient d'origine chinoise. Les livres conçus par les Annamites étaient peu nombreux (par modestie, nos ancêtres estimaient que tout avait été dit et que seuls les saints étaient dignes de rédiger un livre éducatif). De surcroît, ils étaient presque tous détruits par des guerres dévastatrices et surtout par la pratique de l'assimilation à outrance des Chinois [11]. b. L'écriture - Le nôm Le nôm fut inventé pour répondre au besoin du pays puisque le chinois, langue officielle, était compris seulement par la classe instruite, il fallait traduire les édits royaux en langue vernaculaire pour que le peuple pût les comprendre. On ne sait à quelle époque, ni par qui, le nôm fut inventé. Certains présument qu'il apparut vers la fin du VIIe siècle lorsque Phùng Hưng réussissant à chasser les envahisseurs chinois pour reprendre en main l'autonomie du pays, fut proclamé "Bố Cái Đại Vương" ("le Seigneur Père et Mère du peuple"). On devait alors pouvoir transcrire son titre, or les mots "Bố Cái", étant purement annamites, impossible d'utiliser les caractères chinois, par conséquent, le nôm existait déjà à l'époque. Une autre théorie soutient qu'il fut créé plus tôt, vers le premier siècle, sous la domination des Han de l'Est parce qu'on avait besoin, dans les cahiers de registres par exemple, d'une écriture apte à reproduire les noms des personnes et des villages indigènes. Le nôm est une écriture dérivée du chinois. Il n'existait pas de règlements fixes dans son adaptation, puisqu'il n'était pas reconnu comme langue officielle. Pour la même raison, il était rarement utilisé dans les concours ou dans les documents administratifs. Hồ Quý Ly (XVe siècle) était peut-être le premier à l'employer dans les décrets et dans les traductions des Livres classiques. Lorsqu'en 1565, sous l'empereur Mạc Mậu Hợp, on demanda aux candidats de la quatrième épreuve d'un concours de doctorat, de rédiger leur composition en nôm, ce fut une décision révolutionnaire. De même, le premier rapport officiel rédigé en nôm, celui de Lê Quý Đôn adressé au Seigneur Trịnh lorsqu'il était Second Ambassadeur en Chine en 1760, figurait dans les Annales. Vers la fin du XVIIIe siècle, l'empereur Quang Trung éleva le nôm au rang de langue officielle, malheureusement après sa mort prématurée, le nôm fut de nouveau écarté et le chinois reprit sa place prééminente sous la dynastie des Nguyễn. L'ancêtre de la "littérature en nôm", Hàn Thuyên, originaire du Hải Dương, reçu Docteur en 1282, nommé ministre de Justice sous le règne de Trần Nhân Tông, devint célèbre grâce à sa composition littéraire en nôm relative à la chasse d'un requin qui hantait le fleuve Phú Lương (fleuve Rouge). C'est aussi lui qui établit le Hàn luật, règlements de la versification classique vietnamienne. - Le quốc ngữ (langue nationale) Le quốc ngữ, écriture romanisée, fut inventé par des missionnaires, en particulier les Français et les Portugais, vers le XVIIe siècle pour faciliter la propagation du christianisme, le nôm étant très difficile à apprendre. Alexandre de Rhodes avait le mérite d'en faire un système cohérent. Depuis 1908, le quốc ngữ est reconnu comme langue officielle dans les concours à la place du chinois. Le Père Alexandre de Rhodes [12] (1591-1660), originaire d'Avignon, appartenant à l'Ordre des Jésuites, fut le premier à faire publier ses livres en quốc ngữ (à Rome) : 1) Livre sur la doctrine (du christianisme) expliquée en huit jours ; 2) Dictionarium annamiticum, lusitanum et latinum. Tous les deux, parus en 1651, subsistent à la Bibliothèque nationale à Paris. |
4. Examens préliminaires, examens probatoires |
Inspirés du système des
Lê postérieurs, les concours régionaux sous les Nguyễn avaient lieu
tous les trois ans, mais il existait aussi des sessions exceptionnelles
(Ân khoa) octroyées par le roi à la suite d'un événement heureux
pour sa famille telles que l'intronisation d'un empereur ou la naissance
d'un prince, etc.
Ces concours duraient environ cinq semaines et étaient organisés vers les 9e ou 10e mois lunaires au Nord, 5e ou 6e mois au Sud et au Centre. Le premier concours sous les Nguyễn fut institué en 1807, et l'année 1918 marquait la fin de ce système quasi millénaire. Avant de se porter candidat aux concours régionaux, les étudiants subissaient deux sortes d'examens : 1) Les examens préliminaires (Thi khảo) étaient facultatifs et faciles. Ils avaient lieu tous les ans dans chaque province, organisés par les mandarins de l'enseignement locaux, et destinés à maintenir le goût des études. 2) Les examens probatoires (Thi hạch) organisés trois mois avant les concours. Cette épreuve éliminatoire était de même force que celle du concours proprement dit. Les candidats, examinés d'abord par les huấn đạo (professeurs adjoints) et les giáo thụ (professeurs), étaient réexaminés par les Đốc học (Directeur de l'Enseignement d'une province). Si ces mandarins autorisaient des étudiants médiocres à concourir, ils s'exposaient eux-mêmes à des sanctions. Pour participer à cet examen, les candidats déposaient leurs cahiers vierges après avoir inscrit soigneusement sur la première page leurs noms, leur village d'origine. Une fois délesté de cette page d'identité, les copies étaient envoyées dans une autre province en échange pour que la correction fût impartiale. Les élus des années où le concours n'avait pas lieu s'appelaient "khóa sinh", les autres, autorisés à passer le concours, décernaient le titre "thí sinh", leur major, "Đầu xứ" (Premier de la Région). Tous les reçus à ces examens bénéficiaient des privilèges plus ou moins nombreux selon leur grade : les thí sinh étaient exempts des corvées, du service militaire et exonérés d'impôts pendant un an. A cause de l'abus des candidats cherchant à se soustraire aux corvées, depuis 1880 on limitait le nombre des reçus aux examens probatoires à 700 pour la province de Thừa Thiên, 800 pour Hanoi, 800 pour Nam Định, 50 pour Lạng Sơn, etc. |
III. Préparations aux concours |
1. Conditions d'admission aux concours |
Etaient admis à concourir,
au Centre de leur circonscription scolaire, tous les reçus à l'examen
probatoire et tous les tú tài (sous-admissibles à un concours
précédent).
La limite d'âge n'entrait pas en ligne de compte. Ainsi, Cao Bá Quát [13] commençait à l'âge de treize ans ; en revanche, Paul Doumer, gouverneur de l'Indochine à la fin du XIXe siècle, remarquait qu'un candidat était reçu au grade Tú tài à 80 ans passés. Etaient exclus des concours : - ceux qui portaient le deuil de leurs parents (condition qui découlait de la piété filiale) ; - les descendants jusqu'à la troisième génération de parents condamnés : criminels, traîtres, comploteurs [14] ; - les descendants jusqu'à la troisième génération des danseurs, chanteurs, considérés comme "méprisables" puisque leurs métiers étaient inutiles, "inclassables". (Đào Duy Từ, 1572-1634, admissible au concours de doctorat, fut déclaré irrecevable parce que son père dirigeait une troupe de danseuses à la cour de l'empereur Lê Anh Tông.) - les femmes les plus fortunées apprenaient à lire et à écrire jusqu'à l'âge de treize ans, ensuite, elles se consacraient aux travaux ménagers. Ecartées des concours, privilège masculin, aucune d'elles ne portait un titre universitaire, à l'exception de Nguyễn Thị Du, originaire de Hải Dương, qui, déguisée en homme, fut reçu Docteur du premier degré, première classe, au XVIIe siècle, bien que des femmes brillantes comme Hồ Xuân Hương et Đoàn Thị Điểm [15] ne manquent pas. |
2. Les candidats |
Environ trois semaines avant
le concours, l'étudiant remettait trois cahiers vierges au Đốc học
pour qu'il dressât la liste des candidats à l'intention du ministère
des Rites afin qu'on pût fixer le nombre d'examinateurs. Les cahiers seraient
transmis au secrétaire du jury qui y mettrait le cachet giáp phùng
avant de les distribuer aux concurrents le jour de l'épreuve. Le dépôt
des cahiers tenait lieu d'immatriculation.
Chaque cahier comportait une dizaine ou une vingtaine de feuilles selon l'épreuve. Sur la première page, l'étudiant devait inscrire son nom et son âge en gros caractères, puis son pays d'origine en caractères plus petits, ainsi que les noms de ses parents et grands-parents, etc. jusqu'à la troisième génération. Les déclarations devaient être certifiées par le maire du village, vérifiées par le Đốc học et le gouverneur de province avant de co-signer et d'y apposer le cachet du dernier. Sans certificat de bonnes moeurs, les candidats étaient éliminés d'office, et toute déclaration frauduleuse entraînait l'annulation des résultats obtenus ainsi qu'une punition exemplaire [16]. Au dernier concours, la photo du candidat était exigée. L'étudiant, en général pauvre, comptait sur l'enseignement et surtout sur les maigres ressources de sa femme [17] pour "faire bouillir la marmite". C'est pourquoi, lors de son départ, la famille et les amis lui apportaient leur soutien concret sous forme d'argent - quelques ligatures de sapèques - "pour la traversée" [18]. Nos anciens croyaient que la réussite dépendait souvent du sort : un candidat brillant pouvait être voué à l'échec par suite d'une malédiction qui planait sur sa famille. Il était d'usage alors de faire des offrandes aux ancêtres et au Génie tutélaire du village, etc. pour demander leur protection afin d'écarter les influences malignes. |
3. Le jury |
Deux ou trois semaines avant
le concours, le jury était désigné parmi les mandarins civils de la
Cour, tous des diplômés, sauf les deux đề tuyển. Après l'approbation
de l'empereur, le président et le vice-président du jury se prosternaient
devant lui en signe d'allégeance, puis ils se rendaient au ministère
des Rites pour recevoir respectivement le drapeau "Khâm sai" (Délégué
impérial) et l'écriteau "Phụng chỉ" (Obéis à l'ordonnance
de l'empereur) qui constituaient leur investiture de l'autorité impériale,
avant de retourner chez eux avec les deux censeurs sur leurs talons. Des
soldats faisaient immédiatement la sentinelle devant leur demeure pour
défendre l'accès à tout le monde.
Les correcteurs de rangs inférieurs étaient recrutés parmi les mandarins du Service de l'enseignement local. Par mesure de précaution, on ne les affectait pas au Centre de leur lieu de résidence pour prévenir toutes tentatives frauduleuses. Si un membre de leur famille se portait candidat au même endroit de leur affectation, ils devaient se récuser. Les secrétaires et les sentinelles étaient recrutés sur place. A titre d'exemple, le jury est fixé comme suit, par décret impérial de 1834 (la constitution du jury pouvait être modifiée selon les circonstances) : A- La Commission des Examinateurs se répartissait en deux comités : Comité extérieur : 1 président du jury, mandarin du 2e degré ;Comité intérieur : de 6 à 14 sơ khảo (premiers correcteurs), mandarins du 8e au 6e degré ;B- La Commission de Surveillance veillait sur la régularité du déroulement des épreuves et au maintien de l'ordre. Elle se composait de : - 2 censeurs qui assuraient la surveillance des candidats et des examinateurs. Leur devoir était de signaler dans un rapport à la Cour toutes violations aux règlements du concours, faute de quoi, ils subiraient eux-mêmes des peines prévues par la loi ; - 8 agents de sécurité (4 responsables de l'ordre ; 4, des épreuves). C- En outre, deux secrétaires généraux, mandarins du 4e ou 5e degré, chargés de détacher la page d'identification des copies, étaient désignés par la Cour parmi les mandarins intègres mais d'un niveau intellectuel médiocre pour qu'ils ne puissent retoucher les devoirs au moment de leur identification. Trente à quarante agents de bureau étaient placés sous les ordres du président du jury et des deux secrétaires généraux pour les aider à mener à bien leur tâche. |
4. Les centres des concours |
Sous la dynastie des Nguyễn,
il existait huit centres, réduits finalement à cinq : Gia Định, Bình
Định, Thừa Thiên (Huế), Thanh Hóa et Hà Nam (fusion des deux
centres d'Hanoi et de Nam Định). Au début, ces centres étaient entourés
de hautes palissades de bambous pointus et les maisons des examinateurs,
destinées à être démolies aussitôt après les concours pour céder
la place à la culture des champs, étaient installées provisoirement
en terre battue. En 1843, l'empereur Thiệu Trị fit construire le Centre
Ninh Bắc (Huế) comportant 21 bâtiments en briques pour les examinateurs
ainsi que sept rangées de maisonnettes dans chaque enclos, également
en briques, à l'intention des candidats. Ce centre fut pris comme modèle
par les autres centres, exception faite de la partie destinée aux candidats
qui restait un terrain vague et ceux-ci continuaient d'y apporter leur
tente comme auparavant.
Le Centre de Nam Định Construit en 1845, entre les villages Năng Tĩnh et Mỹ Trọng de la citadelle Nam Định, ce centre mesurait 850 m de pourtour, clôturé par des murailles de 2 m de haut environ. La porte principale Tiền Môn s'orientait vers le sud qui symbolisait le yang, générateur de toutes les vertus. Le Centre se décomposait en deux parties : l'extérieur, le "camp des lettrés" [19] proprement dit, était partagé en quatre divisions par deux allées qui se recoupaient en forme de croix. Sur leur point de rencontre, on érigeait le Pavillon des Voies croisées (Nhà Thập đạo), lieu où les candidats venaient chercher le cachet de midi [20] ou déposer leurs copies avant de prendre obligatoirement l'allée centrale qui reliait le Pavillon Thập Đạo à la porte Tiền Môn pour sortir. C'était dans cette allée aussi que les examinateurs, en tenue d'apparat, assistaient au déroulement de la cérémonie de proclamation des résultats. La partie intérieure se subdivisait encore en deux, séparée par des cloisons. Au fond se trouvaient les logements et le Giám Viện, siège du Comité intérieur. La partie côtoyant le "camp des lettrés" était destinée aux logements du Comité extérieur qui tenait ses assemblées au Pavillon Thí Viện. Entre les deux se trouvaient les secrétaires généraux (đề tuyển) qui dépouillaient les résultats et établissaient les listes des candidats, etc. Personne n'était autorisé à s'y approcher sous aucun prétexte. Devant les portes d'entrée ainsi que devant celle par laquelle les comités extérieur et intérieur se communiquaient, des factionnaires montaient la garde jour et nuit pendant cinq semaines à compter du jour de l'entrée solennelle des examinateurs au Centre. |
Le Centre de Nam Định (1900)
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Le Centre de Nam Định (1900) |
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5. Les dépenses |
A - Provision
quotidienne prévue pour un centre, vers 1660 (concours régional comme
concours à la capitale)
Le président du jury : 7 parts = 42 sapèques tiền quý [21]B- Pour le président - une maison de trois travées, coût : 5 ligatures et 4 tiền ; |
IV - Concours régionaux |
1. L'entrée solennelle des examinateurs dans le centre |
Environ une semaine avant
le concours, les mandarins de cour arrivaient à destination. Ils se présentaient
immédiatement chez le gouverneur de province avant de procéder à la
cérémonie de l'Entrée solennelle. A partir de ce moment-là, ils seraient
enfermés dans le Centre jusqu'à la fin des épreuves, soit à peu près
cinq semaines.
Le jour de la cérémonie, la ville était pavoisée depuis la porte de la citadelle jusqu'au Centre. En grande pompe et par ordre hiérarchique, les examinateurs, précédés du drapeau "Khâm sai" et de l'écriteau "Phụng chỉ", se rendaient au Centre dans leur palanquin respectif, accompagnés de chevaux, d'éléphants, de parasols, de dais, de musique, etc. La procession se terminait par les sơ khảo qui défilaient à pied, protégés chacun par un parasol et suivis par deux autels remplis d'offrandes. Derrière eux se rangeaient les agents de bureau par couples, puis les huit officiers de police et un bataillon de soldats armés. Arrivées devant l'enceinte, les autorités qui escortaient le jury se retiraient. Les examinateurs y pénétraient, la porte se refermait sur le dernier d'entre eux. Des soldats en faction la gardaient nuit et jour, personne n'était autorisée à la franchir, ni pour entrer, ni pour sortir. Si les mandarins avaient besoin de quelque chose d'exceptionnel, ils devaient s'adresser au censeur du Comité extérieur, le seul habilité à contacter le Tổng đốc qui ferait délivrer l'objet demandé. Dès l'aube du 25e jour du 9e mois lunaire, les mandarins-examinateurs célébraient l'Entrée solennelle au Centre des concours de Nam Định. Deux parasols jaunes s'inclinaient sur le drapeau "Khâm sai" (Délégué impérial) et sur l'écriteau "Phụng chỉ" (Recrutement des Sages par ordonnance impériale) et quatre parasols verts abritaient au ras de la tête argentée un mandarin qui avait réussi un concours au Palais royal. L'odeur de solemnité, presque imperceptible les jours précédents, inondait ce matin le terrain d'habitude sauvage et muet. La lumière du jour n'était pas encore rentrée de sa course vagabonde. Depuis le jour où soufflait un vent jaune qui apportait avec lui le froid du Nord-Est, on n'avait jamais vu un ciel aussi glacial et lugubre. Il était déjà 7 ou 8 heures du matin, cependant l'obscurité et la lumière se dissociaient à peine. A la lueur de quelques dizaines de chandelles en cire blanche, sur l'esplanade des offrandes gisaient les trois corps inertes d'un buffle, d'un bouc, noircis par la fumée, accompagnés d'un cochon rasé tout blanc qui ouvrait largement ses yeux morts. La terre était plus claire que le ciel. La nature, en ce matin automnal de l'Entrée solennelle, semblait en suspens de quelques noirs événements. Même le vent demeurait paralytique. Les flammes des chandelles n'oscillaient point, la fumée grise de l'encensoir s'élevait toute droite de l'esplanade. A l'est, l'horizon, en principe, devait s'éclaircir pour accueillir les rayons solaires, pourtant, on n'y voyait qu'une sorte de cumulus blanchâtres faisant émerger des formes hideuses de Démons orientaux ; et à l'ouest, un arc-en-ciel, amputé d'un pied, imprimait sur le paysage en deuil des couleurs vertes et incandescentes à la fois splendides et effrayantes. Dans ce désordre où le yin et le yang étaient confondus, le président du jury du Concours de Hà Nam en l'année Mậu Ngọ (1918) offrit des sacrifices à Dieu, à la Terre, à l'empereur, aux Génies tutélaires du lieu, et après avoir psalmodié avec ferveur son nom, son âge, son village natal, il enchaîna ainsi son exhortation : "Que les Esprits-Vengeurs entrent les premiers, les Esprits-Bienfaisants en second..." Il se peut que ces phrases aient marqué le point culminant de la cérémonie d'offrande et aient été acceptées par les démons et les génies. A peine la sentinelle vêtue d'une casaque bordée de rouge avait-elle reçu l'ordre de verser un gobelet d'alcool sur le feu mourant des objets votifs en papier [22]à moitié consumés, qu'à l'unisson les raphis optempéraient de leurs cimes muettes dans la même direction. On avait vécu tout à l'heure un songe ténébreux en plein jour, on assistait maintenant à sa lente dissipation. Une sorte de vent insolite s'engouffrait en rafales à travers le terrain, on entendrait presque le bruit des pas précipités, se bousculant pour trouver une place. Les flammes obliques des chandelles subitement s'éteignirent toutes. Rien n'était plus lointain et vide que le frémissement de la nature mélancolique. Lentement, le ciel et la terre s'éclaircirent. Les frères "Premiers de la Région Ngoạt" [23] prirent nonchalemment le chemin du retour.
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2. La cérémonie d'appel |
Après leur entrée solennelle,
le secrétaire général du Comité extérieur faisait mettre le cachet
du Centre sur la première page des cahiers tandis que le deuxième secrétaire
général faisait apposer le cachet "giáp phùng" à cheval sur
la deuxième et la troisième pages. Puis on mélangeait les cahiers avant
de les partager en quatre tas : c'était la répartition des concurrents
dans les quatre enclos. Les agents de bureau recopiaient les noms des candidats
sur les registres et établissaient les listes d'affichage. A l'épreuve
suivante, on recommencerait les mêmes opérations. (Parfois on recopiait
le nom de chaque candidat sur un morceau de papier pour procéder à un
tirage au sort). Les membres d'une même famille n'étaient jamais placés
dans le même enclos. Les cahiers vierges seraient envoyés au Comité
extérieur pour les distribuer aux candidats le jour de l'épreuve.
Le jour précédant l'épreuve, au petit matin, les listes des candidats ainsi que les règlements des concours étaient affichés devant chaque enclos respectif. Vers 10 h du soir, les examinateurs, en grande tenue, montaient sur leur haute chaise devant les portes d'entrée des enclos pour superviser les secrétaires préparant les cahiers à distribuer aux concurrents, et pour assister à la Cérémonie d'Appel, tandis que les censeurs prenaient leur place sur les miradors. Vers 23 heures, le vacarme commença à se faire entendre à l'horizon, s'approche petit-à-petit, devint plus étourdissant et se dirigea lentement vers la constellation des torches qui clignotaient comme des feux follets. Les candidats de toutes parts se déversèrent par fournées vers les portes du Centre. Le vent du nord fut plus féroce. Les flambeaux, plus éblouissants. Sur le terrain glacé de l'hiver, des silhouettes se serraient les unes contre les autres comme aux jours de fête. Il y avait des candidats aux cheveux tout blancs, d'autres, la touffe de garçonnet au sommet, encore visible derrière le turban de crêpe. Certains ne cachaient pas leur pauvreté, corps décharné revêtu d'un habit léger ; d'autres, comme s'ils voulaient étaler leur opulence, s'emmitouflaient frileusement dans des vêtements matelassés, leurs dents claquaient encore. Des gens ployés sous leur fardeau, jouèrent des coudes, parvinrent à se faufiler à travers la foule jusqu'au Centre. D'autres, tête courbée sous la fatigue, traînaient leur tente et natte par terre. Mine fière et arrogante, c'étaient des débutants ; l'anxiété se peignait sur le front ridé, voici ceux qui avaient chancelé sous le poids de l'échec. Il y avait encore, et encore, impossible de décrire toute cette foule bigarrée et hétéroclite. A mesure que la nuit s'avançait, la masse des candidats grossissait. Chacun cherchait hâtivement la porte d'entrée de son enclos. Sous des dizaines de milliers de chapeaux hérissés devant les quatre portes d'entrée se trouvaient des milliers de personnes pareillement accoutrées : la banquette de bambou et l'armature de la tente cognaient un flanc, l'imperméable et la bâche battaient l'autre ; suspendu sur le ventre, le pupitre ou le coffret de fournitures laqué. Tous ces accessoires, légers ou lourds, volumineux ou petits, longs ou courts, tout ce bric-à-brac s'additionnait et tous ensemble s'agrippaient au cou frêle des lettrés. On dirait que le ciel voulait les forcer à apprendre le métier de porteur avant de mettre leurs pieds sur le chemin de la gloire. Certains s'efforçaient en vain d'avancer, d'autres les refoulaient, les uns poussaient, les autres repoussaient, toute cette cohue d'hommes ballotés ressemblait à des vagues de marée montante. Des appels, des saluts, des invectives, des disputes, le brouhaha des conversations, tous ces bruits réunis transformaient les terrains devant les quatre portes en quatre véritables marchés. [...] Tout à coup, du Pavillon des Voies croisées, trois roulements de gong et de tambour donnèrent le signal. Les lanternes s'agitèrent. Les robes de cérémonies vertes, les bonnets s'animèrent tout ensemble comme sur une scène de théâtre. Dès que les quatre censeurs, revêtus de leur vigilance intègre, prirent place sur les quatre miradors, les examinateurs se séparèrent, chacun dans sa direction. Comme les deux assesseurs se chargèrent des deux portes latérales, le vice-président du jury accompagné de l'écriteau "Phụng chỉ" se dirigea vers la porte de l'enclos Ất ; celle de l'enclos Giáp étant réservvée au président, avec son drapeau "Khâm sai" octroyé par l'empereur. [...] Après les derniers battements de gong et de tambour, deux rangées de lanternes s'avancèrent lentement du Pavillon des Voies croisées. Puis ce fut le tour des deux parasols jaunes d'accompagner respectueusement le drapeau "Khâm sai" qui précéda le président entouré de quatre parasols verts. [...] Arrivé devant la porte, le soldat porteur du drapeau "Khâm sai" monta respectueusement sur la chaise haute, enfonça la hampe dans un trou qui lui était destiné à l'arrière de la chaise. De sa main gauche, le président garda provisoirement la tablette, réservant sa main droite pour empoigner la rampe. Il grimpe prudemment les marches, tira sur le pan derrière de sa robe, puis s'assit sur la chaise. La tablette reprit sa position devant, tenue avec amour par deux mains noyées dans deux manches flottantes et aussi profondes que deux tunnels. Les six parasols, à tour de rôle, émergèrent au-dessus de la chaise, les verts abritaient le président, les jaunes, plus hauts, le drapeau "Khâm sai". Le tumulte devant la porte s'arrêta net. Des milliers d'yeux se braquèrent sur le grand mandarin président du jury. Soudain, du ciel braillèrent quelques mots déformés par le porte-voix: "Que les Esprits Vengeurs[25] entrent en premier lieu, les Esprits Bienfaisants en second, Messires les Candidats en dernier lieu !" Les sons assourdissants du porte-voix semblèrent vouloir disperser ce silence pétrifié, rendaient la foule stupéfaite. Après ces hurlements, le héraut, debout à côté de la chaise du président, suivant les instructions d'un secrétaire qui se tint à proximité avec un carnet de note, dirigea le porte-voix sur la foule et appela le premier candidat. Un "Présent" retentit de la foule. Un jeune homme, au risque de sa vie, surgit de la foule pour apporter son fardeau encombrant sur le terrain devant la chaise du président. Les soldats commencèrent à le fouiller. Ils ouvrirent l'imperméable, la bâche, scrutèrent la banquette et ses pieds, inspectèrent l'intérieur de la gourde et du butbe à copie. Ils palpèrent la ceinture, tâtèrent l'ourlet de la robe et celui du pantalon du candidat, défirent complètement l'armature de la tente, surveillèrent aussi son coffret de fournitures laqué suspendu sur son ventre. Hormis l'encrier et les pinceaux, quelques bougies, un maillet, une rame de papier, quelques galettes, du riz, des pâtés de buffle, du porc grillé, il n'y avait rien de suspect. Le jeune homme fut autorisé à recevoir son cahier vierge de la main du secrétaire, l'enroula précieusement pour le mettre dans le tube à copie niché sur sa poitrine, puis déambula sur le terrain affublé de tous ces saucissons accrochés autour de son cou et de ses épaules. Ce fut le tour d'un autre étudiant de s'avancer à l'appel. [...] Ne trouvant rien de suspect dans la banquette et la tente, mais notant la présence insolite d'une bêche, les soldats s'étonnèrent : - Pourquoi munissez-vous de cette bêche ? Le candidat balbutia d'une voix mal assurée : - Messieurs, c'est parce que j'ai la colique. Ne voyant pas bien le rapport, les soldats demandèrent encore : - Mais à quoi ça sert cette bêche ? L'autre hésita, embarrassé : - Messieurs, c'est que
pendant l'épreuve, si par malheur j'ai un besoin pressant de me soulager,
je creuserai un trou sous la tente pour y enfouir ces machins-là. Sinon,
comment faire ? Dans l'enceinte, il y a partout des tentes, où voulez-vous
que j'aille ?
De nouveau, le héraut appela... les soldats, de fouiller. [...] Les bagages de ce dernier candidat ne différaient pas de ceux des autres. Sauf que l'eau n'était pas contenue dans une gourde, mais dans une cruche en grès munie d'un large goulot. Surpris, un soldat prit une longue baguette, remua, aussitôt du fond de la cruche remonta à la surface une petite boule flottante. Qu'est-ce que c'était ? Un soldat soupçonneux inclina la cruche et repêcha l'objet. C'était des feuilles de papier sur lesquelles étaient recopiés quelques textes en caractères minuscules comme des fourmis, qu'on avait enroulées en boule puis enrobées de cire pour les imperméabiliser. L'objet interdit fut confisqué. Accusé d'avoir tenté d'introduire clandestinement des notes écrites dans le Centre, ce candidat fut expulsé séance tenante. [26]
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L'aîné des "Premiers-de-la-Région" était triste mais gardait le silence. Trois ans auparavant, c'était, encore une fois, le jour de l'Entrée solennelle, la nature se drapait d'un manteau presque aussi sinistre qu'aujourd'hui. Le président du jury d'alors, comme de coutume, célébrait aussi l'offrande des trois victimes immolés et invitait les âmes offensées à entrer en premier lieu dans le Centre pour se venger. Puis, à son tour, y pénétra l'aîné. Le spectre apparut dès la première épreuve. C'était une jeune femme aux cheveux défaits, portant dans ses bras un bébé. Elle le toisa de la tête de sa banquette de bambou, hurla et immobilisa son bras, l'empêcha d'écrire. Après avoir crié et pleuré tout son soûl, elle se servit de ses longs cheveux pour lui lacérer le visage, lui infligeant une douleur cuisante, puis elle se mit à rire frénétiquement en renversant l'encrier sur son manuscrit. Cette fois-là, il devait renouveler sa copie deux ou trois fois. C'était la même qui l'importunait sans relâche, de sorte que ses cahiers étaient tous barbouillés d'encre[28]. Tard, dans l'après-midi, une douleur infernale l'assaillit au ventre, l'obligea à abandonner précipitamment le Centre. On le raccompagna chez lui. C'est ainsi qu'il rata l'épreuve d'Explication de Texte. Un "Premier-de-la-Région" qui faisait sensation à dix lieues à la ronde et qui ne recevait que des louanges de son Directeur d'Etudes, échoua lamentablement dès la première épreuve, quelle calamité ! Dieu merci, quelqu'un avait pris son brouillon, qu'il conservait toujours d'ailleurs, sinon quelle disgrâce pour la famille. Son père qui était un professeur-adjoint bien connu de la région, examina son brouillon, puis le passa à ses amis, tout le monde hocha la tête. Ses phrases dégageaient un souffle étonnamment puissant, même au concours au Palais impérial, il aurait facilement réussi, on claqua la langue en signe de regret. Cet ami qui partageait le même enclos que lui dans l'enceinte, lui rendit plus tard visite avec son brouillon et trente ligatures de sapèques : "Honorable ami, vous avez eu le malheur de tomber malade le jour de l'épreuve, abandonnant derrière vous votre brouillon sur le gazon. N'étant qu'un étudiant médiocre, j'ai pris la liberté d'insérer dans mon devoir vos phrases d'une beauté et d'une vigueur incomparables. Ce serait dommage de les laisser inutilisées. J'ai réussi maintenant cette première épreuve, je vous pris d'accepter ce symbolique présent." Se rendant compte qu'un esprit maléfique s'acharnait sur lui pour que le halo du succès fût à jamais hors de sa portée, il se mit à enquêter sur les secrets de sa famille. Eh bien, de son vivant, le Professeur son père avait bel et bien commis un crime impardonnable, il avait sur sa conscience la responsabilité morale de la mort d'une concubine célèbre pour sa virtuosité. Cette concubine, au moment du suicide, portait dans son ventre un bébé de sept mois. Son âme offensée le poursuivrait inexorablement aussi longtemps qu'il continuerait de passer les concours. Telle était la malédiction dévoilée par la médium lorsqu'on entra en communion avec l'esprit de la concubine. Elle se désigna comme "Mademoiselle" et l'appela "il", riant aux éclats et parlant d'une voix suraiguë : "Tant qu'il se présentera aux concours, Mademoiselle se vengera. Vous voulez connaître le dessein de Mademoiselle ? Eh bien, Mademoiselle veut qu'il commette le crime de lèse-majesté[29] et que toute la famille s'expose aux châtiments !" [...] Il avait terminé depuis longtemps son brouillon, mais chose étrange, chaque fois qu'il posait sa plume sur la copie, le cadet des "Premiers-de-la-Région" sentait une douleur atroce assiéger son ventre, comme si l'on poignardait ses entrailles de coups successifs. Il se tordait sans arrêt, une main serrant son ventre, l'autre, sa copie. La banquette de bambou s'enfonçait lentement dans l'herbe. Entre deux convulsions, lorsque le vacarme de la pluie torrentielle s'apaisa, des voix implorant humblement se firent entendre, venant du Pavillon des Voies croisées : "S'il vous plaît, Messieurs, c'est notre dernier concours. De grâce, permettez-nous de changer nos cahiers. La pluie les a tous barbouillés, c'est vraiment en dehors de notre volonté." S'apercevant que des tentes voisines s'échappaient la fumée et du cendre, le cadet des "Premiers-de-la-Région" se rappela des papiers votifs rangés dans son coffret de fournitures. Il les sortit feuille par feuille, les posa près du bord de sa banquette, puis d'une main crispée, il pétrit son bas-ventre pour atténuer la douleur, de l'autre, il alluma le feu. Le vent souffla, les papiers s'embrasèrent, le feu émit un grésillement, et parmi ses crépitements joyeux, on entendit aussi les tons perçants d'une personne riant et parlant. La fumée s'éleva puis se dispersa obliquement. [...] Des volutes de fumée légère descendirent en cascade et changèrent en un tournemain. Devant les yeux ahuris et affolés du cadet des "Premiers-de-la-Région", ces nuages de fumée - empestées d'une odeur nauséabonde de gras, de brûlure et de poisson entremêlées - se noircirent soudain et se métamorphosèrent en une longue chevelure éparse. Cette chevelure macabre encadra un visage humain. Le feu jaunâtre, presque affaissé, s'enflamma tout d'un coup, le rire sonore devint strident, saccadant. Le ciel s'assombrit. Le cadet des "Premiers-de-la-Région" sentit le terrain tout entier transi. Un air lugubre et désolant planait sur l'enceinte. Le vent enleva sa copie et la jeta sur l'herbe ruisselante. Il étendit le bras, s'efforçant d'atteindre le manuscrit que le vent avait arraché du pupitre, il le manqua de peu et maintint de justesse son équilibre. La douleur affreuse du ventre recommença de plus belle. Il s'assoupit sur son pupitre et perdit connaissance. ... Lorsqu'il revint à lui, il se sentit délivré, comme si la douleur fulgurante de tout à l'heure n'avait été qu'un cauchemar. Hébété, n'ayant plus aucune notion de temps et de l'espace, il était stupéfait d'apercevoir le crépuscule. D'un mirador, le tamtam résonna précipitamment, annonçant la clôture de l'épreuve. L'aîné des "Premiers-de-la-Région" l'attendait devant la porte. Laissant derrière lui sa tente et sa banquette, ne gardant sur lui que son brouillon, le cadet des "Premiers-de-la-Région" quitta l'enceinte comme dans un rêve. Les deux frères se rencontrèrent mais ne déliaient point leur langue depuis la porte du Centre jusqu'à la pension. Ce jour-là, au repas, il y avait à la pension de Mme Phùng un candidat ajourné qui s'envoyait trois bonnes bouteilles d'alcool de chrysanthème... dans la nuit la plus longue de toute une existence.
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3. Les épreuves |
Après l'admission du dernier
candidat dans l'enceinte, toutes les portes étaient fermées et gardées
par des sentinelles. Le jury se réunissait alors au Pavillon des Voies
croisées pour arrêter les sujets.
Au signal du tambour, le mandarin Đề Điệu, accompagné de porteurs de parasols et de porteurs de sabres, se rendait devant chaque enclos pour superviser l'affichage des sujets par les secrétaires. En général, chaque concours comportait quatre épreuves [30] : Première épreuve : Sept sujets d'interprétations de textes classiques. Il suffisait d'en traiter deux au choix, mais il leur était loisible d'en faire plus, jusqu'à concurrence de sept. Deuxième épreuve : Poésie et prose rythmée (phú). Troisième épreuve : Commentaire sur l'art de gouverner des anciens et modernes souverains. Quatrième épreuve : dite Phúc hạch (Ré-examen). Au début, cette épreuve avait pour objet d'identifier l'écriture des candidats, on leur demandait de composer soit un poème, soit une dissertation. Depuis 1884, elle comportait tous les sujets des trois épreuves précédentes. La sélection était sévère : n'étaient admis à prendre part à la deuxième épreuve que ceux qui avaient réussi la première, il restait alors seulement le tiers environ des concurrents. A la troisième épreuve, seul le tiers des candidats de la deuxième épreuve composait. Ainsi, le temps écoulé entre les épreuves se raccourcissait au fur et à mesure que se déroulait le concours. A titre d'exemple, voici les dates du concours de Hà Nam en 1894 : Première épreuve : 25/10/1894 Deuxième épreuve : 15/11/1894 Troisième épreuve : 25/11/1894 Quatrième épreuve : 2/12/1894 |
4. Règlements des concours |
"C'est bien
connu, mes connaissances sont bonnes, mais mon ignorance [des règlements]
évidente,
Trường quy désignait
les règlements que les candidats étaient tenus à observer lorsqu'ils
rédigeaient leur copie, soit pour montrer leur respect à l'égard de
l'empereur et des examinateurs, soit pour éviter la fraude.
Au bout de huit concours, je continue encore à les transgresser !" Tú Xương Ces règlements étaient nombreux, en voici les plus importantes : Phạm húy : les noms des empereurs, de ceux de leur famille, etc. étaient proscrits dans un devoir, sinon l'étudiant serait reconnu coupable de sacrilège. Selon l'importance du personnage, on devait soit couper le mot en deux, soit rajouter ou omettre un trait, etc. Khiếm tị : interdiction d'écrire les noms des palais, des tombeaux royaux, etc. en entier [31]. Khiếm trang : à côté du mot "empereur", il était recommandé de ne pas juxtaposer les mots "violent", "stupide", "assassin" ou "tué", qui pouvaient provoquer une association d'idées malheureuses. Duệ bạch : devoir inachevé. Dans ce cas, le code prévoyait que le professeur serait puni pour avoir présenté à la légère un candidat médiocre. Dấu Giáp phùng : cachet mis avant l'épreuve, à cheval sur la deuxième et la troisième pages. Ce visa avait pour but d'empêcher toute substitution frauduleuse de composition faite d'avance. Dấu Nhật trung (cachet de Midi) apposé vers midi, lorsque le candidat avait rempli environ deux lignes et demie, ceci pour prouver que son devoir avait été rédigé dans l'enceinte. Thiệp tích : autour de ces deux cachets, il était interdit de gommer, biffer, corriger les mots, de peur d'une complicité entre candidats et correcteurs. Si par malheur une erreur était commise à cet endroit, il fallait immédiatement préparer un cahier neuf et aller chercher le cachet "Giáp phùng" au Pavillon des Voies croisées. C'était ce qu'on appelait "cánh quyển" (changer de cahier). Avant de remettre sa copie, le candidat devait noter à la dernière page le nombre des erreurs commises dans sa composition - pas plus de dix n'étaient tolérées. |
5. La fin de l'épreuve |
Vers 6, 7 heures du soir,
le tamtam commença à résonner afin d'avertir les retardataires. Procédure
employée : on posait 17 pièces de monnaie de l'époque Gia Long sur une
table, puis les reprenait une à une. Dès que toutes les pièces avaient
été ramassées, on frappait un coup de tambour, puis on recommençait
le processus avec, chaque fois, une pièce de moins, de sorte que le rythme
s'accélérât. 17 coups de tamtam représentaient un roulement. Au bout
de trois roulements et neuf coups, on scella la malle contenant les manuscrits.
Une fois sa copie terminée, le candidat se rendit au Pavillon des Voies croisées où un secrétaire apposa le cachet du secrétaire général du Comité extérieur sur la dernière page avant de ranger le cahier dans une malle devant lui. Ces copies seraient remises au deuxième secrétaire général qui procèderait au détachement de la page d'identification en dessinant un cercle sur la première page accompagné de deux courtes phrases identiques des deux côtés du cercle. On plia la page en deux, découpa et mit de côté la partie portant le nom du candidat tandis que les manuscrits seraient transmis aux premiers examinateurs. La correction faite, on rapprocherait cette partie détachée (phách) avec le reste de la page pour retrouver le nom de l'auteur. Les copies hors délais (ngoại hàm) ne seraient pas corrigées mais seraient lues avec soin pour repérer les éventuelles violations aux règlements. |
6. La correction |
Les manuscrits, démunis
de leur page d'état civil, étaient transmis d'abord au Comité intérieur.
Le superviseur vérifiait si le sceau de la malle restait intact avant
de distribuer les devoirs aux premiers correcteurs qui notaient avec l'encre
rouge d'Annam. Puis, vint le tour des correcteurs-réviseurs qui utilisaient
une encre verte. Tous devaient inscrire leurs noms, leur fonction, la note
distribuée et signaient sur la première page. Les superviseurs examinaient
en dernier ressort, mettaient leurs appréciations en rose [32]
avant de contre-signer.
Après le Comité intérieur, les copies étaient envoyées au Comité extérieur. Là, le président et le vice-président du jury annotaient les reçues avec l'encre de Chine d'un rouge écarlate. Quant aux assesseurs (phân khảo), ils réexaminaient les copies éliminées par le Comité intérieur en vue d'un éventuel repêchage. Après la correction, les devoirs recevables étaient classés par ordre de mérite puis renvoyés aux secrétaires généraux pour d'identification. Les listes des reçus seraient affichées devant chaque enclos. Une belle calligraphie pouvait faire monter la note tandis qu'une mauvaise pourrait entraîner un échec [33]. Quand il existait un désaccord, les examinateurs tenaient leur délibération au Thí Viện. Lorsqu'un étudiant avait réussi aux trois premières épreuves, ses trois manuscrits étaient reliés ensemble, puis on dressait la liste des admis au Phúc hạch, dernière épreuve. Un jour avant, le candidat apportait ses tente et natte au Pavillon des Voies croisées pour qu'on les installât à leur place, les tentes étaient disposées à une vingtaine de mètres les unes des autres. Devant chaque tente était indiqué le nom du candidat. A l'intérieur, celui-ci trouvait le sujet déjà prêt. Une fois entré dans sa tente, il lui était interdit d'en sortir avant la fin de l'épreuve. |
7. Pourcentage des reçus |
En moyenne, pour un Centre
de 3.000 candidats, une trentaine étaient reçus au grade Cử nhân.
(On appelait Giải nguyên ou Thủ khoa le major de la
promotion, Á nguyên le deuxième de la liste). Mais le nombre
des concurrents pouvait varier de 1.000 à 12.000, celui des reçus, de
2 à 100. Ce dernier était fixé par la Cour à l'avance, déterminé
par les besoins de l'administration et du nombre des candidats, mais selon
les circonstances pouvaient être modifié. Ainsi, à la session de 1884,
le nombre des lauréats, fixé initialement à 25 pour Hanoi et 24 pour
Nam Định, s'élevait finalement à 52 pour l'ensemble des deux Centres
(2.000 étudiants) puisqu'il s'agissait d'une session spéciale et que
l'empereur voujut se montrer magnanime.
A partir de 1884, pour chaque cử nhân reçu, on prenait trois tú tài (sous-admissibles) [34]. Après chaque session, le président du jury adressait un procès-verbal au Trône, un deuxième rapport émanant du censeur signalait toutes les éventuelles irrégularités pendant le déroulement du concours. Toutes les copies sans exception étaient envoyées à la Cour pour un contrôle ultérieur. Ainsi, Cao Bá Quát, reçu deuxième par le jury de Hanoi en 1831, fut reclassé avant-dernier par la Cour. A titre d'exemple, voici les résultats du concours de Hà Nam en 1909 : 6/11/1909 : Cérémonie de l'Entrée solennelle des examinateurs. 13/11/1909 : Première épreuve, 3.068 concurrents, 934 admis. 25/11/1909 : Deuxième épreuve, 934 concurrents, 408 admis. 2/12/1909 : Troisième épreuve, 408 concurrents, 261 admis. 8/12/1909 : Epreuve facultative de français, 32 candidats, 20 reçus. 11/12/1909 : Quatrième épreuve, 261 concurrents, 50 admis au grade Cử nhân et 150 Tú tài. 16/12/1909 : Proclamation des résultats. |
8. La proclamation des résultats |
Un secrétaire du ministère
des Rites, se tenant sur l'estrade, à côté du drapeau, dictait le nom,
l'âge, le village natal de chaque lauréat par ordre de mérite décroissant.
Un héraut en casaque rouge bordé de vert muni d'un long porte-voix répétait
ses paroles dans toutes les directions, à plusieurs reprises. Jadis, deux
vieux éléphants étaient chargés de se promener à travers la ville
à la recherche des lauréats, on n'appelait le deuxième de la liste que
lorsqu'on avait trouvé le premier, et ainsi de suite, si bien que pour
rassembler les 25 ou 30 frais émoulus cử nhân, on perdait facilement
la journée entière. Simplifiée, cette cérémonie durait encore au moins
trois heures. L'appel de chaque lauréat nécessitait cinq minutes à compter
du moment où le héraut dirigeait son porte-voix à droite, à gauche,
jusqu'au moment où l'heureux élu arrivait à émerger de la foule pour
décliner son identité.
Un témoin oculaire affirmait avoir vu vers la fin du règne de Duy Tân (début du XXe siècle) au Centre de Hà Nam, un candidat, angoissé à force d'avoir affronté trop souvent l'échec, s'évanouir juste au moment critique sans entendre proclamer son nom comme major de la promotion. Il se confia : "La chose qui me terrifie le plus dans un Centre est le redoutable porte-voix en cuivre et l'attitude du héraut le brandissant vers la foule." |
9. L'affichage des résultats |
Le tableau des reçus, appelé
Hổ
bảng (Hổ = tigre ; bảng = tableau) représentait,
jadis, un tigre portant sur son dos la liste des gradués. Il était affiché
devant la porte de l'enclos Giáp.
Les tú tài n'avaient pas droit à la Proclamation solennelle des résultats. Leurs noms figuraient sur un tableau représentant une branche de fleurs d'abricotier appelé Mai bảng, il était affiché devant l'enclos Ất. Le "Petit Tableau" portait les noms des candidats coupables d'infractions graves aux règlements des concours tels que : crime de lèse-majesté, copie inachevée, etc. Il était considéré comme déshonorant de voir son nom figurer sur ce tableau ; en revanche, même si l'on n'était pas reçu, le fait d'être admissible à la troisième épreuve constituait un honneur. |
- Le Professeur a-t-il mentionné les résultats ? - Oui, il a dit que mon
frère Hạc était recalé, que mon frère Tú [35]
était de nouveau reçu au grade Tú tài, et que moi-même, avec de la
chance, je serais le dernier de cette liste.
- Pas possible ! Trần Đức Chinh aurait-il inventé de toutes pièces ses nouvelles ? Đoàn Bằng occupait à se changer, Tiêm Hồng prit la parole : - Non, il racontait la vérité. Le Professeur confirmait que le jury était sûr que Hạc serait reçu major. Mais ce matin, un édit royal émanant de la capitale nous a appris son échec. - Avait-il commis une violation aux règlements du concours ? - Non, le Professeur affirmait comme Trần Đức Chinh que la copie de mon frère était excellente avec quatre mentions "Très Bien" et douze mentions "Bien". - Alors pourquoi a-t-il été éliminé ? Le Professeur sait-il ce que décrétait la Cour ? - Oui. D'après lui, l'ordonnance est ainsi formulé : "Đào Vân Hạc est effectivement un jeune candidat extrêmement brillant, il dépasse de loin Nguyễn Chu Văn [36] et mérite d'être reçu major. Cependant, il est encore jeune et sa copie révèle des traces d'orgueil. Nous risquerions de l'encourager dans cette voie et il deviendrait difficilement un homme de grande utilité à la nation, s'il était reçu en tête de sa promotion dès cette année. Dans le but de façonner des hommes de grande valeur, la Cour ne voulait pas gaspiller les talents. Nous proposons de l'ajourner cette fois-ci afin de limer son orgueil juvénile. La prochaine fois, il sera reçu premier." [37] Révolté, Vân Hạc laissa échapper son indignation : - Façonner de cette manière, c'est se foutre du monde !
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V. La gloire et le début de la carrière d'un mandarin |
1. Les faveurs du roi |
A- Le costume du lauréat
octroyé par le roi
Sur l'allée qui reliait la porte Tiền Môn au Pavillon des Voies croisées, deux rangées d'examinateurs en tenue d'apparat juchés sur leur haute chaise assistaient au déroulement de la cérémonie. A l'appel de son nom, le lauréat, escorté par un soldat, se présentait respectueusement devant cette double haie d'honneur, s'inclinait profondément devant les membres du jury en joignant les mains. Le costume qui lui était octroyé comportait : - une robe bleue en soie d'Annam avec une doublure en soie blanche ; - une tunicelle verte ; - un bonnet orné de deux fleurs en argent, l'une devant, l'autre derrière ; - un bandeau pour les cheveux ; - une tablette en bois recouverte d'une couche d'argent ; - une paire de bottes noires ; - une paire de socquettes blanches. B- Le banquet traditionnel Les lauréats étaient conviés chez le gouverneur de province pour le banquet traditionnel. On en distinguait trois classes : la première était réservée au président du jury, la deuxième destinée aux gradués, à raison de quatre convives par table ; la troisième, aux secrétaires, six par table. Le banquet comportait à côté des gâteaux multicolores, des plats élaborés. Parfois, ces plats étaient décorés avec du papier de couleur ou doré reconstituant les quatre animaux fabuleux : dragon, tortue, phénix et licorne. Pendant le banquet, des chanteuses renommées étaient réquisitionnées pour leur verser à boire et égayer l'atmosphère. Les jeunes lauréats étaient particulièrement bien entourés, les plus âgés se contentaient de leur propre compagnie ! Le major de la promotion était invité à apprécier les chants avec son tambour, et à composer un poème à l'occasion de ce jour mémorable. Ses camarades de promotion recopiaient le poème en souvenir, puis ils échangeaient leur carte de visite. On autorisait les convives à emporter chez eux une partie des plats pour partager avec leur famille les faveurs de l'empereur. |
2. Hommages et gratitudes au roi et au jury |
Le lendemain, le jury au
complet, en tenue de cérémonie, participait à la Cérémonie de remerciements
adressés à l'empereur à Vọng Cung [38].
Le président se prosternait cinq fois, puis se retirait vers la droite
pour faire place au vice-président qui se mettait à gauche de la cour,
une fois ses génuflexions accomplies. Par ordre hiérarchique, tous les
examinateurs venaient à tour de rôle saluer dans les formes rituelles,
les mandarins locaux et les dignitaires de la Cour les suivaient. Les cử
nhân frais émoulus, bien alignés des deux côtés de la cour, revêtus
de leurs nouveaux costumes, se prosternaient en dernier lieu, en signe
de gratitude à l'égard de l'empereur :
- cinq prosternations pour avoir été reçus au concours ; - cinq prosternations pour les costumes octroyés ; - cinq prosternations pour le banquet organisé en leur faveur. Un orchestre accompagnait la cérémonie. Tous les lauréats devaient préalablement s'entraîner, leurs mouvements étaient minutieusement réglés. Après le roi, les lauréats adressaient leurs hommage et gratitudes aux membres du jury. |
3. Le retour glorieux |
Le lauréat informait son
village de son succès, les délégués du village fixaient avec lui le
jour de son "Glorieux Retour". La procession d'un tú tài comportait
des habitants de sa commune, celle d'un cử nhân, des habitants
du canton, celle d'un tiến sĩ, de ceux de sa sous-préfecture.
(Jadis, la procession d'un Docteur partait de la capitale). La date fixée,
les villageois se réunissaient à la maison commune pour désigner les
participants, c'est-à-dire les porteurs de drapeaux, de bannières, d'instruments
de musique, etc., les membres de la famille du nouveau gradué étaient
exempts de cette corvée.
La procession d'un cử nhân se composait d'une vingtaine de drapeaux, de fanions, de bannières multicolores, d'instruments de musique et d'armes diverses. Les porteurs, dans leur tenue de cérémonie rouge, serrés par une ceinture de soie verte se paraient d'un chapeau conique surmonté d'une pointe en argent. Le costume du lauréat était posé sur un petit autel laqué rouge et doré, protégé par deux parasols jaunes. Le palanquin vert du lauréat était supporté par une palanche laquée noire parcourue de filets rouges, les deux porteurs, en tunique noire attachée par une ceinture de soie verte dont le noeud pendait à droite. Un porteur de parasol vert les accompagnait. Les notables marchaient derrière le palanquin, et le cortège se terminait par les deux porteurs d'un grand tambour. Chaque village du canton qui se trouvait sur le chemin du cortège devait préparer une petite réception pour contribuer à l'éclat de la cérémonie : quelques drapeaux et parasols, un autel couvert de fleurs, de fruits, d'encensoirs, etc. Lorsqu'arrivait le cortège, on tirait les pétards, le cử nhân descendait alors de son palanquin pour saluer les notables, puis on se remettait en route, cette fois, quelques délégués et porteurs de drapeaux du village venaient se greffer au défilé. Arrivé chez lui, le lauréat accomplissait ses saluts rituels devant l'autel des ancêtres, puis à la maison communale, au Temple de la Littérature. Il n'oubliait pas de rendre visite à son ancien Maître pour témoigner sa reconnaissance envers celui qui lui avait "ouvert le coeur". Amis et villageois venaient le féliciter, munis de cadeaux : alcool de riz, bétel, pétards, sentences parallèles, etc. Ils étaient conviés aux festins qui duraient des jours. C'était l'occasion des galas triomphaux. Puis, le gradué attendait tranquillement sa nomination officielle, son nom était porté sur le registre du ministère des Fonctionnaires. D'une façon générale, un cử nhân débutait comme Huấn đạo (Professeur adjoint) ou Giáo thụ (Professeur) puis ils gravissait les échelons jusqu'à la fonction de sous-préfet ou préfet. Les tú tài, en principe, ne bénéficiaient d'aucune nomination. |
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[1]
- An-Nam : nom ancien du Vietnam. Certains Vietnamiens refusent d'employer
ce mot, estimant qu'il y a une connotation péjorative : Nam = le
Sud, An = pacifié (par les Chinois). En fait, "An-Nam" peut signifier
"le Sud pacifié" tout aussi bien que "le Sud pacifique". Dans nos relations
avec la Chine, nos ancêtres se montraient plutôt sensibles quant aux
appellations ; s'ils avaient pensé qu'il y avait une nuance péjorative
dans cette appellation, ils n'auraient pas hésité à protester. Or, à
ma connaissance, on n'a enregistré aucune contestation de leur part en
ce qui concerne ce vocable.
[2] - P. Huard & M. Durand, Connaissances du Viêt-nam, p. 84. [3] - Les mots "quân tử" désignent au début un homme appartenant à la classe dirigeante, mais la doctrine confucéenne veut que seul un homme vertueux soit digne d'assumer une fonction officielle, dès lors, un "quân tử" est assimilé à un homme vertueux. [4] - Lorsqu'un monarque agit mal envers son peuple, la "Divinité Suprême" manifeste son mécontentement par des phénomènes étranges (éclipses) ou des calamités (crues, disettes...). Alors, l'empereur sait qu'il est en disgrâce, entre en contrition en se livrant à une abstinence sévère, en faisant son examen de conscience, en distribuant des biens publics aux pauvres et en amnistiant les détenus. [5] - Le culte des ancêtres est une vieille coutume pratiquée au Vietnam depuis fort longtemps, vraisemblablement avant la domination chinoise. Dans chaque foyer, l'autel des ancêtres occupe toujours le milieu de la pièce centrale : la table au fond est destinée aux tablettes funéraires portant les noms des ancêtres immédiats, servant de supports à leur âme spiritualisée ; celle du milieu est réservée aux encensoirs, aux vases de fleurs, aux candélabres, etc. ; la table extérieure porte les offrandes : fruits, gâteaux, riz glutineux, mets fumants et intacts pour marquer le respect dû aux ancêtres. [6] - Nos anciens croyaient que l'esprit des morts continuait à subsister malgré la dissolution du corps. On l'appelait alors "quỷ" (esprit). Les "quỷ" pouvaient intervenir dans le monde des vivants, en particulier, ils pouvaient protéger leurs descendants. [7] - Lê Quý Đôn (1726-84), nom de plume Quế Đường, originaire du Thái Biønh, auteur de l'oeuvre la plus riche qui nous soit restée, est réputé pour son intelligence, son érudition et son talent. A deux ans, il savait déjà distinguer le mot "hữu" (= avoir) du mot "vô" (= néant). A dix ans, il apprenait à rédiger les devoirs des concours ; à onze ans, il connaissait à fond tout l'enseignement des "Cent Ecoles". Reçu major au concours régional à seize ans, major au concours du Palais impérial en 1752, il parvint au grade de ministre des Travaux publics et fut nommé vice-ambassadeur en Chine en 1760. A sa mort, un deuil national de trois jours fut observé. [8] - Une sentence parallèle est un couple de phrases symétriques en structure mais s'opposent point par point en tons et en signification. Par exemple : "Tôi tôi vôi" = Je délaye la chaux (tôi = je ; tôi vôi = délayer la chaux) s'oppose à "Bác bác trứng" = Vous faites une omelette (bác = vous ; bác trứng = faire une omelette). La difficulté réside dans la répétion des deux mots "tôi" et "bác" qui sont à la fois pronoms et verbes. Les tons neutres de la première phrase contrastent avec les tons aigus de la deuxième. [9] - Certains livres de grande valeur littéraire furent écartés du programme à cause de leur contenu déclaré "littérature licencieuse" (dâm thư). [10] - Dans une circonscription où les candidats reçus étaient nombreux, les mandarins de l'enseignement obtenaient des récompenses ; en revanche, ils seraient dégradés, voire renvoyés, si aucun candidat ne réussissait pendant plusieurs sessions. [11] - Au début du XVe siècle, l'empeureur Ming Yongle ordonna à ses troupes de détruire au passage "toute vie culturelle annamite sans laisser subsister un seul mot, que ce soit sur une feuille de papier ou sur une stèle !". Dix ans après, ses soldats confisquèrent tous les livres qui leur avaient échappé lors de la première invasion, pour les ramener à Jinling (act. Nankin) et y mettre le feu. De ces ouvrages, rien ne subsiste, à part le titre. [12] - A. de Rhodes a vécu plus de sept ans au Vietnam, a appris la langue ainsi que son histoire et sa culture... Il est l'auteur d'un ouvrage racontant ses expériences au Vietnam (1650) et d'un livre d'Histoire du Tonkin (1652), tous deux en italien ont été traduits en français. [13] - Cao Bá Quát (1809-54), poète célèbre pour son esprit brillant et frondeur, pour son talent et pour sa calligraphie, fut reçu deuxième au concours en 1831, mais reclassé avant-dernier de la promotion par la Cour. [14] - Sous les Nguyễn, tous ceux qui collaboraient avec les Tây Sơn et, à un moment donné, les chrétiens, étaient considérés comme des "traîtres". [15] - Deux célèbres poétesses du XVIIIe siècle. [16] - Appelés à remplir une fonction publique, ils devaient présenter des garanties sérieuses de moralité. [17] - On raconte que lorsque Tam Nguyên Yên Đổ Nguyễn Khuyến (trois fois reçu Premier aux concours) se présentait au concours régional, sa femme vendait jusqu'aux derniers "cache-seins" pour lui procurer de l'argent nécessaire au voyage. A son Retour glorieux, elle était encore dans les champs, occupée à planter du riz pour son employeur. [18] - Pour se rendre à un Centre de concours, certains candidats devaient traverser un ou plusieurs cours d'eau. [19] - Les soldats français apercevant les tentes alignées dans l'enceinte baptisaient spontanément le Centre "le camp des lettrés". Ce terme me paraît impropre puisque le Centre englobait à la fois "le camp" et la partie réservée aux examinateurs. [20] - Le cachet apposé vers midi sur le manuscrit à peine commencé attestait que celui-ci était bel et bien rédigé au Centre. [21] - Tiền quý : 1 tiền = 60 sapèques. Tiền gián = "argent ordinaire" : 1 tiền = 36 sapèques. 1 quan = 1 ligature = 10 tiền = 600 sapèques, ou 360 selon le cas. [22] - Objets votifs : objets en papier représentant tout ce dont un mort aurait besoin (argent, mobilier, etc.). Une fois brûlés, ces objets deviendront réels dans l'autre monde. C'est une sorte d'offrande. [23] - Đầu xứ désignait le premier reçu, le major d'un examen probatoire (thi hạch). Đầu = tête, xứ = région. [24] - Nguyễn Tuân (1910-87), originaire de Mọc, banlieue de Hanoi, était un écrivain de talent. Ses ouvrages les plus connus sont ses "Essais" (Tùy bút) et son "Echo d'un passé" (Vang bóng một thời), caractérisés par une atmosphère soit étrange, soit nostalgique, et un style tantôt ironique, tantôt corrosif. [25] - Les Esprits Vengeurs, de leur vivant, ayant subi de graves maltraitances de la part du candidat ou de sa famille, étaient autorisés à entrer avant tout le monde pour se faire justice en empêchant le candidat d'écrire sa composition par exemple. [26]- La loi de 1826 stipule que le coupable sera emprisonné une trentaine de jours et fouetté avant d'être relâché. De plus, il lui sera interdit à jamais de se présenter aux concours. Les tú tài seront radiés de la liste des reçus. [27] - Ngô Tất Tố (1892-1954), reçu "Premier de la Région", tour à tour critique littéraire, traducteur, chercheur... était surtout connu par ses ouvrages Tắt đèn (Quand la lumière s'éteint), filmé sous le titre Chị Dậu, et Lều chõng (Banquette et tente). Son style alerte témoigne d'une nette influence occidentale. [28] - Faute éliminatoire dans un concours. [29] - On ne devait jamais écrire en entier le nom de l'empereur ni celui de la famille royale, sinon on serait rendu coupable du crime de lèse-majesté. Pour éviter cette faute, on ajoutait ou supprimait volontairement un trait du nom, etc. selon le cas (voir : Règlements des concours). [30] - Les devoirs étaient rédigés en chinois jusqu'en 1909, à partir de cette date, le quốc ngữ le remplaça comme langue officielle. [31] - A l'examen de doctorat en 1847, Đặng Huy Trước écrivait dans son devoir "Gia miêu chi hại" qui signifiait "néfaste pour le bon riz", mais comme "Gia Miêu" désignait aussi le village d'origine de l'empereur, l'étudiant fut éliminé, son nom fut même radié du cahier de registre des cử nhân (reçus au concours régional). [32] - Il était interdit aux examinateurs d'apporter de l'encre noire (réservée aux étudiants) au Centre, de peur d'une connivence entre examinateurs et candidats. En 1841, Cao Bá Quát, membre du Comité intérieur du Centre de Thừa Thiên, se servit de la suie de sa lampe à pétrole pour corriger un certain nombre de copies qu'il jugea bonnes mais ne respectant pas les règlements. Ces irrégularités signalées à la Cour, il fut condamné à mort, mais grâce à sa réputation de fin lettré, l'empereur Thiệu Trị lui accorda la faveur d'être emprisonné en attendant la pendaison (peine considérée comme plus légère que celle d'avoir la tête tranchée) et lui permit enfin de se racheter en accompagnant une délégation à l'étranger. Le président du jury fut rétrogradé. [33] - Sous les Lê postérieurs, Dương Sử fut éliminé par les premiers correcteurs à cause de sa mauvaise écriture. Après réexamen, il fut déclaré major de sa promotion au Centre de Kinh Bắc. [34] - Traduire "cử nhân" par "licencié" est acceptable à la rigueur, mais le terme "bachelier" me paraît impropre pour traduire "tú tài" (= talent fleuri) car il s'agissait du même concours, les cử nhân étaient les reçus, les tú tài, les meilleurs des éliminés. "Sous-admissibles" me semble une traduction plus adéquate. Les tú tài n'étaient pas autorisés à passer l'examen de doctorat, mais admis de droit aux futurs concours régionaux sans avoir à subir l'examen probatoire. En outre, ils étaient exempts de corvées et d'impôts pendant trois ans. Mais si, dans un concours ultérieur, ils recevaient l'annotation "nulle" (liệt), tous ces privilèges leur seraient retirés. Un tú tài reçu une deuxième fois au même grade fut surnommé "tú kép" (doublé) ; reçu une troisième fois, il fut appelé humouristiquement "tú mền" (couverture, par association d'idées : doublé, doublure, couverture) ; reçu une quatrième fois, on lui attribuaient franchement un nom ironique "tú đụp" (raccommodé maintes fois). [35] - L'usage veut qu'on désigne une personne par son titre ou par sa fonction. Celui-ci a été reçu au grade Tú tài dans un concours antérieur. [36] - Par ordre de mérite, Nguyễn Chu Văn était classé deuxième de la liste des reçus mais le président du jury, du même avis que la Cour, préférait "façonner les talents" et voulait classer Đào Vân Hạc deuxième et Nguyễn Chu Văn en tête en raison de l'âge mature du dernier. Cependant, il se heurtait à l'opposition du censeur qui ne considérait que les résultats obtenus. Comme personne ne cédait, les deux copies étaient envoyées à la Cour pour avis. [37] - Reçu major très jeune au Concours régional, Lê Quý Đôn était éliminé trois fois de suite aux Concours de Doctorat. Il ne réussit la quatrième fois - major aussi - qu'après avoir appris à éliminer toutes traces d'orgueil de ses copies. [38] - Vọng Cung était un bâtiment construit dans chaque province pour permettre aux mandarins locaux de rendre hommage à l'empereur sur place, sans avoir à se déplacer jusqu'à la capitale. La traduction "Pagode Royale" me paraît impropre
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