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Concours à la capitale (Thi Hội
et concours au palais royal (Thi Đình)

Nguyễn Thị Chân Quỳnh


Introduction
La société vietnamienne d'autrefois, appelée "annamite", se répartissait, en gros, en deux classes : les mandarins et le peuple, les premiers secondaient l'empereur dans les tâches admimistratives. De formation confucéenne, ils étaient recrutés par des concours sévères, organisés tous les trois ans. Grâce à un système élaboré d'éducation et de concours, l'Annam était considéré comme un pays de civilisation avancée.

Les premiers concours apparurent en Chine au IIe siècle avant J.-C. Sous l'influence chinoise, l'Annam comme la Corée et le Japon les adoptaient tour à tour. Il fallait attendre le XIXe siècle pour voir leur apparition en Europe.

Pendant l'occupation chinoise de l'Annam (111 avant J.-C. - 938), les Annamites qui souhaitaient passer les concours de haut niveau devaient se rendre en Chine. L'affluence des candidats était telle qu'en 845 l'empereur chinois limitait leur nombre à 8 aux concours de doctorat.

Dès le début de l'indépendance du Vietnam, le roi Lý Nhân Tông institua, en 1075, le premier concours en s'inspirant des modèles chinois. Les dynasties suivantes (Trần, Hồ, Lê, Mạc, Nguyễn) remanièrent sans cesse le système afin de l'adapter aux besoins du pays. Les concours atteignirent leur apogée au XVe siècle sous le roi Lê Thánh Tông ; à partir du XVIIIe siècle, commença leur déclin. Ils furent définitivement abolis en 1919.

Le programme des études mettait en honneur la doctrine Nho, appelée aussi doctrine confucéenne (Confucius est considéré comme son fondateur) qui préconisait un gouvernement stable fondé sur une hiérarchie sociale dont l'empereur était le chef suprême. Cette doctrine proposait de former une classe de dirigeants constituée d'hommes instruits, capables et surtout vertueux.

En passant les concours, les lettrés visaient une charge officielle qui leur permettait de remplir leur mission d'hommes supérieurs, de guides éclairés du peuple. Selon Confucius, l'homme est né bon et capable d'entendre la raison, c'est l'éducation et les moeurs qui rendent les uns bons, les autres mauvais. La loi punit le coupable mais ne lui explique pas l'horreur de son geste. Il vaut mieux l'inciter à pratiquer la vertu civique et prévenir les actes criminels en développant son sens du devoir et la distinction entre le Bien et le Mal. L'éducation morale était donc primordiale, la formation de l'esprit secondaire. Si les lettrés échouaient aux concours ou s'ils ne souhaitaient pas s'engager dans le mandarinat, ils se consacraient tout naturellement à leur deuxième tâche : l'éducation des jeunes selon les principes de Confucius.

On distinguait :

- les concours régionaux ou concours triennaux (Thi Hương). Les candidats étaient astreints à se présenter au Centre des concours dont dépendait leur village natal. Les reçus s'appelaient cống sĩ ou cử nhân (licenciés) ;

- les concours à la capitale (Thi Hội) et les concours au palais royal (Thi Đình) ; les derniers étaient considérés comme quatrième épreuve du Thi Hội. Les lauréats s'appelaient tiến sĩ (docteurs).

Ce numéro est consacré aux Thi Hội (concours de doctorat).

I- Concours à la capitale (Thi Hội)
1. Que signifient "Thi Hội" ?
Il avait lieu l'année qui suivait le concours régional, vers le 3e mois lunaire, et durait à peu près un mois.

En 1075, l'empereur Lý Thánh Tông institua le premier "Grand Concours" (Đại Khoa) au Vietnam. Sous les Nguyễn, le premier fut organisé seulement en 1822.

Il s'agissait ici d'un concours national et il avait lieu à Huế, la capitale sous les Nguyễn [1], ce qui posait un grand problème pour les candidats venant de loin. Pour s'y rendre, la mer présentait un danger indéniable, mais la route n'était guère plus rassurante : ils devaient escalader des montagnes à pic, passer à gué des rivières, traverser des forêts où pullulaient des bêtes féroces pendant des semaines. C'était une vraie expédition !

L'Odyssée des mandarins-aspirants
A partir de Thanh Hóa, la route devint de plus en plus inacessible, mais après Hà Tĩnh, elle fut franchement épouvantable.

Toute la journée, ils devaient se frayer un chemin sous la tonnelle des arbres séculaires enchevêtrés. Il était quasi impossible d'entrevoir la vỏte des cieux. Puis, des montagnes à pic, roides comme un mur, se dressaient devant eux. Des sources intrépides jaillissaient comme une flèche, dont le parcours sinueux leur barrait la route. Il fallait parfois gravir des parois vertigineuses, la poitrine regardant le ciel, parfois, pour descendre, se mettre à quatre pattes. Le chemin se tortillait en suivant les berges d'un ruisseau qui se dérobait. Vu de la route, le lit du ruisseau était un abỵme situé à plusieurs dizaines de mètres en bas, il suffisait de trébucher, on se serait immédiatement réduit à l'état de poussière.

Mais le plus dur fut vers la montagne Trồng.

A côté d'une imposante montagne dont la cime touchait le ciel, que même une fourmi pouvait difficilement franchir, la route unique était rocailleuse, hérissée de pierres aux arêtes vives. Qu'elles étaient cruelles ces pierres ! Toutes sans exception, aussi acérées que la pointe de l'épée, si vous mettiez vos pieds dessus, la peau et la chair seraient transpercées jusqu'à l'os. Le seul moyen d'échapper à ces blessures, c'était de bien viser la trace de son prédécesseur, et d'y sauter à pieds joints.

Les sandales esquintées, les genoux dérobés, pourtant, il n'était pas question de halte provisoire puisqu'il n'y avait aucune place pour se tenir debout. A ces moments-là, Vân Hạc et Đốc Cung se rappelaient tous les deux les dangers des sạn đạo (ponts aériens faits de planches pour relier les montagnes entre elles) qu'ils avaient lus dans les livres chinois et pensaient : "Il se peut que les sạn đạo ne soient pas plus périlleux que cette route. Seulement, depuis l'antiquité, les Chinois avaient eu construit ces ponts, pourquoi nous autres, nous n'en faisons pas autant ?"

Passé cet endroit abominable, tous les deux étaient éreintés. Mais de peur de manquer leur point de chute, ils ne se reposèrent qu'un instant au bord du chemin, le temps de prendre une collation, les voilà qui repartirent bravement.

Un jour, apercevant les couperets déposés sur un rocher en marge de la route, Đốc Cung, persuadé qu'il s'agissait de couperets oubliés par des bûcherons, n'y prêtait pas attention. Mais Vân Hạc, remarquant sur la pierre des mots tracés à la chaux d'une main maladroite, découvrit que ces outils étaient destinés aux passants pour couper les branches, cassées par la tempête, qui leur faisaient obstacles. On était prié, après les avoirs utilisés, de les remettre en place. Ils n'eurent pas besoin d'aller bien loin qu'effectivement ils se heurtèrent à un buisson de bambous écroulés qui leur entravait le chemin, impossible de l'escalader.

En hommes avertis, ils s'étaient équipés de couteaux. Les jeunes gens demandèrent à leurs domestiques d'abattre toutes ces broussailles impénétrables. Pendant que ces derniers s'exécutaient, Vân Hạc et Đốc Cung s'employèrent à débarrasser les branches coupées en les traỵnant par terre. Au bout d'un moment interminable, ils parvinrent à pratiquer un passage acceptable.

Une autre fois, épuisé à force de grimper et de subir les intempéries, Vân Hạc sentit la fièvre le gagner, il traỵna ses pieds péniblement. Đốc Cung et les deux porteurs devaient s'arrêter fréquemment pour l'attendre. Il se faisait des sommets de l'autre côté, le soleil se couchait au ras des crêtes, pourtant les auberges étaient encore loin, nos deux amis s'affolèrent :

- M'est d'avis qu'on va se coucher sur les arbres et loger à la belle étoile cette nuit ! déclara Vân Hạc à Đốc Cung.

Mais tous les arbres d'alentour se dressaient éperdument et roides comme un piquet, aucune branche latérale près de leur pied, comment faire pour les escalader ?

Heureusement, sur d'autres, à deux pas de là, on remarquait des marchepieds faits de morceaux de bois gros comme des orteils, enfoncés dans le tronc, échelonnés du pied jusqu'au premier rameau. Il y avait sûrement des gens couchés sur ces arbres avant et ils avaient aménagé ces clous pour faciliter leur ascension.

L'arbre le moins haut en avait perdu quelques-uns. Force fût aux domestiques d'en tailler de nouveaux pour les remplacer. Ils sortirent de leurs trousses maillets et marteaux, puis l'un monta sur les épaules de l'autre pour planter les clous. Après ce travail, ils prirent des couvertures et les attachèrent solidement avec des cordes sur les branches en guise de hamac. Ça allait leur servir de repaire, abri des voyageurs de nuit au sein de la forêt, s'ils ne voulaient pas être surpris par des vipères, des tigres, des panthères ou autres bêtes fauves tapies dans le coin.

Les mains agrippant le tronc, les pieds calés sur les marchepieds, ils se hissèrent jusqu'à la première branche latérale, s'y laissèrent pendre comme point d'appui, se balancèrent pour atterrir sur leurs couverture. Vân Hạc et Đốc Cung avaient les cheveux dressés sur la tête à l'idée que si jamais les cordes cédaient, s'en serait fait pour eux !

Pendant que les jeunes gens s'étaient blottis dans leur abri, leurs compagnons se mirent à la recherche de larges feuilles de latanier pour les suspendre au-dessus en formant une toiture, façon de se protéger contre la rosée. Ces fidèles serviteurs ne prirent leur place qu'une fois leur devoir accompli.

Le ciel était noir comme l'enfer. Le hullulement des chouettes, le toussotement des singes, le chant plaintif des cigales et autres insectes étaient émaillés de temps à autre de lointains rugissements d'un tigre ainsi qu'une odeur puante colportée par le vent. Que de périls, que d'horreus furetaient autour d'eux !

La fièvre recommença à l'assaillir, Vân Hạc se coucha en geignant et se demandant : "Vais-je pouvoir survivre pour rentrer à la maison ?" Puis, il interpela Đốc Cung :

- Dis, rien que de penser à ce moment, même si l'on réussissait le concours des Dieux du Ciel - n'en parlons pas du misérable examen de doctorat - ça ne vaut vraiment pas le coup !

Le lendemain, ils attendirent qu'il fût tout à fait jour avant de se hasarder à descendre. La fièvre avait quitté Vân Hạc, seule une lassitude infinie l'engourdit. Tous les quatre se remirent en marche. A l'orée du bois, la lumière approchait son déclin. Dans le ciel profilaient des montagnes et des collines qui s'érigeaient devant eux, on aurait dit des monstres colossaux s'apprêtant à menacer le monde.

Après, la route longeait la côte. Au-dessus, des montagnes escarpées, en-dessous, des vagues mugissantes ; la route serpentait, se rétrécissait, cahotait, montait, descendait, comme si l'on escaladait un arc-en-ciel. Tous tâtonnaient avec précaution, de peur de déraper et d'être la proie des poissons.

Encore quelques jours écoulés, puis ils échouèrent près d'un fleuve immense, impossible de voir l'autre rivage. On leur expliqua qu'il s'agissait de la célèbre lagune Tam Giang, une embouchure qui déversait directement l'eau du fleuve à l'océan. Les vagues s'y agitaient impétueusement, comme à la mer. On raconta que dans le temps, ce fleuve aivait été beaucoup plus large, mais grâce au dépôt de limon et de sable, il s'amenuisait. Encore près d'une journée de traversée à la barque, tous les quatre souffraient de mal de mer, chancelaient et vomissaient. Il leur fallait une nuit de repos pour se remettre en forme.

Encore près de vingt jours de voyage cahin-caha, ils arrivèrent enfin à Huế. En tout et pour tout, ils avaient mis un mois et dix jours.

Après avoir quêté une pension dans la cité, nos lettrés prirent quelques jours de repos bien mérité puis préparèrent leurs cahiers pour les déposer au ministère des Rites.

Ngô Tất Tố, "Banquette et tente" (Lều chõng)
2. Le Centre des concours de Thừa Thiên (Huế)
Ce centre changeait de place plusieurs fois. Au départ, il fut construit provisoirement en torchis, au milieu de la rivière des Parfums, sur des ỵlots. En 1843, l'empereur Thiệu Trị fit ériger le Centre Ninh Bắc, composé de 21 bâtiments en briques pour les examinateurs, ainsi que sept rangées de bâtiments dans chacune des quatre divisions pour les candidats. A l'intérieur, des pupitres étaient installés à l'usage des candidats qui n'avaient plus besoin d'apporter leur tente. Par la suite, ce centre fut déplacé encore à An Ninh, puis à La Chử et enfin à Tây Nghị.

Lors du premier concours sous les Nguyễn (1822), on installait dans le Thí Viện [2] un autel laqué d'or portant les sujets choisis par l'empereur. Devant chaque salle de composition, des sentinelles armées d'une épée surveillaient. On mobilisait 600 cavaliers armés de la Garde royale ainsi que 20 éléphants caparaçonnés pour faire la ronde au dehors. Depuis 1826, les éléphants furent supprimés et le nombre des effectifs réduit de moitié, soit 300.

3. Les candidats
Le nombre des concurrents à chaque session variait de 100 à 6-7000. En 1838, seulement 130 candidats se présentèrent au concours, le nombre d'examinateurs fut réduit en conséquence.

Etaient autorisés à participer au concours :

- tous les cử nhân (licenciés) ;

- les huấn đạo (professeurs-adjoints), giáo thụ (professeur) ;

- les tôn sinh (membres de la famille royale), ấm sinh (fils de mandarins), giám sinh (élèves boursiers du Quốc Tử Giám [3]) ;

- certains tú tài à partir de 40 ans ou ceux qui réussissaient brillamment l'examen éliminatoire.

Depuis 1838, à l'exception faite des cử nhân, tous devaient réussir un examen éliminatoire au Quốc Tử Giám pour être admis à concourir.

Etaient écartés du concours ceux qui appartenaient à l'une des catégories ci-après indiquées :

- les mandarins ayant un grade supérieur au 7e degré ;

- les professeurs et professeurs-adjoints à partir du 6e degré ;

- les sous-préfets (tri huyện) en fonction, de peur qu'ils ne négligeassent leur charge, absorbés par leur préparation au concours.

Les huit cahiers vierges destinés aux quatre épreuves devaient être déposés à l'avance au ministère des Rites, chaque page pouvait comporter huit lignes, chaque ligne 20 mots. Sur la première page on devait préciser son nom, son âge, etc. avec, en plus, l'année de réussite au concours régional.


Les candidats en costumes de cérémonie des cử nhân (licenciés)

Sous les Nguyễn, les candidats n'avaient plus besoin d'apporter leur tente et leur pupitre, seulement leur tube à copies et leurs nattes. Par contre, considérés comme des mandarins, ils devaient revêtir leur robe de gradué le jour de l'épreuve.

En 1838, l'empereur Minh Mạng tenait à assister en personne au concours. Constatant qu'il faisait un froid glacial, il fit distribuer de l'eau-de-vie aux examinateurs pour les réchauffer, et aux étudiants, des paillassons et des réchauds à charbon. En 1841, il fut décidé que désormais, on fournirait gracieusement le repas de midi aux candidats en témoignage de l'attention particulière de la Cour à l'égard des lettrés.

4. Les sujets
Ils étaient arrêtés un jour avant les épreuves, soit par l'empereur soi-même, soit par le jury, à sa demande.

En 1822, lors du premier concours de la dynastie des Nguyễn, quand les sujets furent sortis, trois coups de canon retentirent tandis qu'on hissait un drapeau rouge sur l'esplanade du Mât. Puis, les deux tri cống cử (examinateurs) se rendirent chacun à un des deux divisions du Centre pour lire l'énoncé avant de le faire afficher.

A titre d'indication, voici les épreuves imposées, à partir de 1856 :

Première épreuve : Sept interprétations de textes classiques, il fallait en traiter au moins trois.

Deuxième épreuve : Un édit royal (chiếu) et une adresse du peuple au souverain (biểu) comportant chacun au moins 300 mots, plus un exercice de critique de 600 mots.

Troisième épreuve : Poésie et prose rythmée (phú).

Quatrième épreuve : Douze questions sur les sciences politiques (văn sách), il suffisait d'en traiter huit, soit : quatre sur les livres classiques et canoniques [4], deux sur l'histoire, deux sur la politique actuelle.

Comme le sujet de la quatrième épreuve était particulièrement long, pour épargner aux étudiants une perte de temps considérable à le recopier, on décidait plus tard de le faire imprimer pour les distribuer aux candidats.

5. Le jury
Il existait comme au concours régional deux comités d'examinateurs intérieur et extérieur. Tous étaient désignés par l'empereur.

Selon l'ordonnance royale de 1834, le jury comportait [5]  :

- un président, mandarin du 2e degré [6] ;

- un vice-président, mandarin du 2e degré ;

- deux tri cống cử (examinateurs), mandarins du 2e degré ;

- dix correcteurs, mandarins du 5e degré ;

- deux censeurs, mandarins civils du 2e ou 3e degré qui surveillaient le déroulement du concours ;

- quatre inspecteurs du Comité intérieur, qui surveillaient les portes d'entrée et gardaient les clefs des portes intérieures, chargés du maintien de l'ordre ;

- un commandant en chef de la patrouille faisant la ronde autour du Centre le jour de l'épreuve, mandarin militaire du 2e degré ;

- vingt soldats responsables des malles contenant les copies et les cachets ;

- deux secrétaires généraux (đề điệu), mandarins militaires du 3e degré ;

- un đằng lục qui recopiait les manuscrits des candidats, mandarin du 6e ou 5e degré ;

- un soạn hiệu qui numérotait les cahiers et détachait la page d'identité, mandarin du 6e ou 5e degré ;

- un độc quyển qui relisait les doubles des copies, mandarin du 6e ou 5e degré ;

- 40 secrétaires ;

- 300 cavaliers armés, détachés de la Garde impériale.


Un mandarin en costume de Cour
6. La correction et l'affichage des résultats
Le cahier rédigé à l'encre noire était recopié soigneusement en rouge puis relu par des copistes. Tous ceux qui participaient à ce travail devaient indiquer leurs noms et leur fonction sur l'original et la copie avant de signer. On mettait de côté l'original tandis que la copie était envoyée aux correcteurs du Comité intérieur qui se mettaient d'accord sur la note à attribuer et co-signaient, la copie était transmise ensuite au Comité extérieur.

A la différence du concours régional, ici, on additionnait les résultats obtenus au cours des trois ou quatre épreuves, celui qui réunissait suffisamment de notes était appelé trúng cách (reçu) [7].

En 1829, les meilleurs des éliminés recevaient le titre phó bảng. En principe, ils n'étaient pas autorisés à participer à l'examen au Palais impérial. Leurs noms figuraient sur le tableau annexe, peint en rouge.

Il n'y avait pas de proclamation solennelle des résultats. Les examinateurs, après s'être agenouillés devant l'autel pour exprimer leur hommage à l'empereur, montèrent sur leur haute chaise devant la porte du Centre des examens. Un officier mandarin du 4e degré affichait les résultats devant la porte aux sons de la musique, tandis que le drapeau impérial flottait sur l'esplanade du Mât.

II - Concours au palais royal (Thi Đình)
1. Que signifie Thi Đình ?
On le considérait comme la dernière épreuve du concours de doctorat. Il avait lieu quelques jours après l'affichage des résultats du concours à la capitale et une semaine environ avant la proclamation solennelle des résultats finaux.

Seuls les trúng cách étaient autorisés à concourir, les phó bảng n'y étaient admis que par faveur spéciale de l'empereur lorsque le nombre des trúng cách lui paraissait trop réduit.

Pour accéder au Palais, les candidats en robe de gradué, guidés par le sous-ministre des Rites, franchissaient la Porte du Midi [8]. Ils étaient fouillés soigneusement par des soldats avant d'être conduits à leur place assignée.

2. Lieu des concours
Sous la dynastie des Nguyễn, le premier concours eut lieu au Palais Cần Chính (Palais du Gouvernement Diligent), puis on le déplaçait soit au Palais Thái Hòa (Palais de l'Harmonie Suprême), soit au Palais Khâm Văn, etc.

Le Palais Thái Hòa se situe dans la Cité impériale (Hoàng Thành)[9]. Pour rendre au Palais Cần Chính dans la Cité pourpre (Tử Cấm Thành), dite aussi Cité interdite, il faut emprunter la Grande Porte dorée (Đại Cung Môn) sur laquelle est gravé un poème qui rappelle au souverain son devoir : "Un homme est appelé à gouverner un peuple, il n'est pas question de rassembler tout le bien du peuple pour servir un homme."

3. Le déroulement des concours
Selon la décision prise en 1856, le jour qui précédait le concours, le ministère des Rites faisait placer des nattes et des pupitres aux deux ailes du Palais Khâm Văn. Le jour de l'épreuve, le président du jury en costume de Cour se présentait devant le Trône, le sous-ministre des Rites introduisait les candidats qui se mettaient à genoux, face au nord (position du sujet), pour attendre l'ordre du souverain qui présidait la cérémonie, face au sud. Une fois l'ordre prononcé, ils se prosternaient cinq fois en signe de remerciements avant de retourner à leur place pour composer. La distribution du sujet ne pouvait se faire qu'après la sortie de l'empereur et des examinateurs, laissant derrière eux les deux censeurs pour surveiller. Lorsque résonnait le signal de la fin de l'épreuve vers 8 heures du soir, les copies et les brouillons étaient ramassés pour les remettre aux censeurs.

Pendant le concours, l'empereur faisait servir aux candidats soit du thé, du bétel, soit des friandises afin de marquer son intérêt pour cette élite de ses sujets. Chaque fois, ceux-ci devaient faire leurs prosternations pour le remercier. Ils étaient autorisés à emporter chez eux, y compris la vaisselle, en souvenir de ce jour mémorable.

Le repas de midi étant fourni par le ministère des Rites, ils étaient dispensés des cérémonies de remerciement.
 

4. Le sujet
La nuit précédente, l'empereur réunissait les examinateurs pour sélectionner le sujet, puis le faire recopier et mettre sous pli scellé pour la distribution du lendemain.

Le sujet comportait une dizaine de pages bien remplis, renfermant une centaine de questions. Il se décomposait en deux parties :

1) Questions sur l'art de gouverner des anciens empereurs chinois [10], leurs moyens de lutter contre les catastrophes et leurs mesures de prévention.

2) Questions sur l'administration du gouvernement actuel, les procédés envisagés pour accroỵtre la richesse publique et pour développer la puissance nationale, etc.

À titre d'exemple, voici une question de la session 1868 : "Les envahisseurs (Français) deviennent de plus en plus agressifs. Ils dressent dans tout le pays des casernes et des remparts. Faut-il les combattre ou vaut-il mieux faire la paix avec eux ?"

5. Le jury
Selon la décision prise en 1856, le jury comportait :

1 président du jury, mandarin militaire du 2e degré ou au-dessus ;

2 độc quyển (deuxièmes correcteurs), mandarins civils du 3e degré ou au-dessus ;

2 duyệt quyển (premiers correcteurs), mandarins civils du 3e ou 4e degré ;

1 truyền lô, responsable de la proclamation des résultats, mandarin du 3e degré ;

2 kinh dần, chargés du protocole, mandarins du 4e, 5e degré ;

1 di phong, chargé de sceller la malle contenant les manuscrits, mandarin du 4e ou 5e degré ;

1 thủ chưởng, responsable de la malle des copies, mandarin du 4e ou 5e degré ;

1 ấn quyển, chargé de mettre le cachet sur la dernière page du devoir avant de le ranger dans la malle ;

6 đằng tả (copistes) ;

2 tuần la, commandant la brigade des patrouilleurs, détachée de la Garde royale ;

2 tuần sát, sous-officiers de la Garde royale.

6. La correction
Les devoirs étaient rédigés à l'encre noire. Sur la première page du manuscrit, à part son nom, son âge, etc. le candidat devait indiquer son classement sur la liste des reçus au concours précédent, et la date du concours au Palais.

La composition terminée, les cahiers étaient ramassés par des soldats. Les tuần la les transmettaient aux secrétaires généraux pour le détachement de la page d'identité. Ensuite, les nghè bút thiếp [11] les recopiaient avec soin à l'encre rouge. L'original était mis dans une boỵte scellée, les examinateurs corrigeaient les copies, d'abord les duyệt quyển, ensuite les độc quyển qui se mettaient d'accord sur la note à attribuer, co-signaient, puis les classaient par ordre de mérite avant de les faire identifier. La liste des lauréats proposés était transmise à l'empereur qui réexaminait tout avant de prendre la décision finale [12]. Ensuite, les copies étaient retournées au jury qui les communiquait au ministère des Rites pour la préparation des costumes à distribuer et pour fixer la date de la proclamation des résultats.

Les reçus étaient classés en trois catégories.

1) Les Docteurs du premier degré (Nhất giáp Tiến sĩ), subdivisés en trois classes : première classe : Trạng nguyên ; deuxième classe : Bảng nhãn ; troisième classe : Thám hoa. En général, pour chaque classe, un seul candidat est admis.

2) Les Docteurs du deuxième degré (Nhị giáp Tiến sĩ). Leur nombre n'était pas fixé, le premier d'entre eux s'appelait Hoàng giáp.

3) Les Docteurs du troisième degré (Tam giáp Tiến sĩ), les plus nombreux. Leur nombre n'était pas limité. Sous les Nguyễn, on prit, en général, à chaque session, une vingtaine de reçus seulement, Phó bảng y compris.

D'après Trần Văn Giáp, en tout et pour tout, le Vietnam a organisé 187 concours de doctorat, avec 2.991 reçus. Les Nguyễn instituaient 47 concours régionaux (5.226 admis) et 38 concours de doctorat (558 reçus).


Jouet éducatif : Le Docteur en papier. 
Tous les parents rêvaient de voir leurs enfants réussir aux concours. On sélectionnait avec soins leurs jouets. Le Docteur en papier représentait le plus haut espoir qu'ils convoitaient pour leurs progénitures. Même après l'abolition des concours, le Docteur en papier réapparaỵt chaque année à la Fête de la mi-automne ou Fête des enfants.

7. La Proclamation solennelle des résultats (Truyền lô)
Il s'agissait de la proclamation des résultats du concours de doctorat. Le sous-ministre des Rites lisait à haute voix le nom, l'âge, le village natal du lauréat, des officiers de la Garde impériale les répétaient à tour de rôle pour que tout le monde pût les entendre, même de loin. Les reçus, revêtus de leur costume de docteur, s'agenouillaient dans la cour devant la salle d'audience pour écouter la Proclamation.

En 1822, la cérémonie, présidée par l'empereur en présence des mandarins dans leur tenue d'apparat, se passait au Palais Thái Hòa. Parfois, elle avait lieu à la Porte du Midi. Le ministre et le sous-ministre des Rites se tenaient des deux côtés d'un Long Đình (autel avec toiture) portant l'ordonnance royale. Le sous-ministre lisait le palmarès, les noms des lauréats étaient répétés par des Gardes. Les nouveaux docteurs recevaient leur costume de la main du sous-ministre qui les avait pris sur une table placée derrière le Long Đình. Revêtus de leur costume tout neuf, ils se rendaient au Palais Cần Chính pour faire leurs prosternations rituelles de remerciement à l'empereur.

En 1841, le costume d'un docteur du premier degré, première classe, comportait :

- un bonnet orné d'une plaque en argent, d'une fleur en or en avant et d'une fleur en argent en arrière ; les ailes étaient garnies d'argent ;

- un bandeau pour les cheveux ;

- une robe verte en soie brochée aux grandes fleurs, l'empiècement pectoral en drap rouge brodée de nuages multicolores et d'un faisan blanc ;

- une tunicelle en soie d'Annam bleue bordée de broderies représentant des nuages ;

- une ceinture en corne entourée de drap rouge garnie de trois médaillons en argent et vermeil recouverts de feuilles d'écailles de tortue et de sept plaques de cuivre recouvertes de corne noire ;

- une tablette d'ivoire gravée en caractères d'or son titre et son nom ;

- une paire de socquettes de soie blanche ;

- une paire de bottes noires.

Le jour de la proclamation des résultats, le tableau des reçus était affiché au Phu Văn Lâu, devant la Porte du Midi, pendant trois jours, puis envoyé au Quốc Tử Giám.

La liste des sous-admissibles (phó bảng) figurait sur un tableau laqué en rouge, placardé pour un jour, à droite de la cour du Phu Văn Lâu. Elle n'était pas conservée.

8. Le banquet
Deux ou trois jours après, le jury et les nouveaux docteurs remerciaient l'empereur pour les bienfaits reçus, puis participaient au banquet organisé au ministère des Rites ou au Jardin Thư Quang, en leur honneur.

Depuis 1835, les docteurs du premier degré ainsi que les hauts mandarins membres du jury étaient récompensés chacun d'une épingle à cheveux en vermeille.

Les docteurs du deuxième et du troisième degrés recevaient chacun une épingle en argent.

Les mandarins de rang inférieur avaient droit chacun à une petite épingle en argent.

En outre, les docteurs étaient octroyés chacun un drapeau indiquant son nouveau titre ("Docteur du premier degré, deuxième classe", par exemple) et un écriteau sur lequel étaient gravées en lettres d'or son nom, son titre, son village natal et les quatre mots "Sắc tứ vinh quy" (Retour glorieux par la grâce de l'empereur).

Le lendemain, les nouveaux docteurs adressaient chacun un placet de remerciement à l'empereur, puis se rendaient au Quốc Tử Giám pour la cérémonie devant l'autel de Confucius, considéré comme le fondateur de la doctrine Nho.

9. Promenade au Parc impérial
Les nouveaux docteurs, à cheval et en tenue d'apparat, accompagnés de parasol et guidés par le ministre des Rites et le président du jury, étaient autorisés à visiter le Parc impérial. Selon l'usage, il leur était permis de cueillir une fleur dont l'orfèvre de l'empereur ferait une réplique exacte en or pour orner leur bonnet, au-dessus de l'oreille gauche. Des plaisantins affirment qu'un certain docteur avait choisi une fleur de bananier [13]. On raconte aussi qu'une princesse chinoise, fille de l'empereur Han Wudi, pour sélectionner un mari, lança du haut de son balcon une balle multicolore, le docteur touché par la balle fut son élu.

De nos jours, les concours sont abolis, et il n'existe plus d'empereur ni de parc impérial, mais le poète Nguyễn Bính nous a laissé ces vers nostalgiques qui les font revivre dans nos coeurs :

... Le Jardin impérial de naguère a disparu
Seul son nom perpétue dans la "Commune du Jardin impérial"
Les concours abolis, finis les docteurs
Et Dieu restitue fleurs et herbes au Jardin des Immortels
[...]
Aujourd'hui, un touriste
Vit au "Jardin impérial" [14] et pourtant le Jardin impérial lui manque !

Après cette ballade au parc, les docteurs continuaient avec la visite de la capitale, toujours encadrés par le ministre des Rites et le président du jury.

10. Les stèles des docteurs
On perpétue les noms des docteurs de chaque session en les faisant graver sur une stèle érigée au Temple de la Littérature.

Les stèles du Temple d'Hanoi sont placées des deux côtés du lac Thiên Quang.

En 1484, l'empereur Lê Thánh Tông fit installer les premières stèles des docteurs, en remontant jusqu'à la session de 1442. Des guerres et des intempéries ont eu raison de certaines d'entre elles. Sur les 110 érigées, il n'en reste que 82. Si l'on tient compte aussi des trois stèles gravées sous les Nguyễn, le Temple possède en tout 85 stèles [15].


Les stèles des docteurs

Sur la face de la stèle, on lit les noms des docteurs, leur âge, leur village natal, leur titre, par ordre de mérite ; à l'envers, un texte relatant le déroulement de l'examen ainsi qu'une apologie adressée à l'empereur pour avoir fait organiser l'examen permettant de recruter les sages au service de la nation. Chaque stèle est portée par une tortue, symbole de longévité.

Extrait du discours gravé sur la stèle de la session de 1487, rédigé par Thân Nhân Trung [16] : "La renommée et la réalité doivent concorder... Il ne s'agit pas de déployer son beau style, qui n'est qu'un verni superficiel, alors que sa vertu laisse à désirer ; des études et des conceptions erronées, une conduite déplorable, une vaine réputation ne font que souiller cette pierre. Un homme qui manque à son devoir envers son empereur et envers ses parents, par exemple, mérite qu'on radie son nom de la stèle." [17]

11. Le retour glorieux
Dès le premier examen sous les Nguyễn (1822), le ministère des Rites fournissait aux lauréats des chevaux de relais qui les reconduisaient jusqu'à leur province natale. Le gouverneur de la province réquisitionnait un peloton pour accompagner le cortège. Selon son gré, le docteur pouvait décider de s'arrêter à un endroit afin de rendre visite aux personnages illustres, ou à un site réputé. A l'heure du repas, le village où il s'était arrêté devait fournir un banquet dont la dépense était imputée aux riches qui se considéraient comme particulièrement honorés d'avoir un si remarquable hôte.

Depuis 1901, les phó bảng recevaient aussi les mêmes faveurs.


Le Retour glorieux


Image populaire humoristique : Le Retour glorieux du Docteur Rat

Le Retour glorieux
Cette fois, c'était l'aller, point n'était besoin de respecter l'ordre protocolaire. Le cortège était resserré par endroit, espacé à d'autres, les drapeaux, les écriteaux, les parasols, etc. ne se tenaient pas droit, certains pointaient vers le haut, d'autres vers le bas.

Aux alentours de midi, on arriva à la porte de la citadelle.

La foule se bousculait sur le chemin pour les regarder.

[...]

Le nouveau Docteur portait des bottes noires et une robe verte à manches larges ; sur son bonnet à grandes ailes brillaient des fleurs en argent. Dès qu'il eut pris dignement sa place, appuyé sur le coussin placé en tête du palanquin, Monsieur son Père et Madame sa Mère, à leur tour, montaient sur les leurs.

Puis, arriva son épouse.

Les porteurs soulevant les palanches d'un seul mouvement sur leurs épaules demeuraient immobiles, prêts pour le signal du départ.

Les participants se mettaient en rang.

Une immense banderole écarlate, déployant en caractères brodés les mots "Docteur du premier degré", ouvrit la marche.

Quatre parasols jaunes se touchaient en s'inclinant pour protéger l'inscription dorée "Par la grâce de l'Empereur, le Glorieux Retour" peinte sur un panneau laqué rouge, bordé de crêpe également rouge, emboỵtèrent le pas.

Survint un énorme tambour qui se balançait sur un fléau de bois que soutenaient deux porteurs marchant l'un derrière l'autre.

Un joueur de tambour, au maintien grave, revêtu d'un ample costume de cérémonie et de ses bottes noires, la baguette tenue en oblique sur sa poitrine, les accompagnait.

Arrivère ensuite quatre garçons, disposés en carré. Tous les quatre s'habillaient pareillement : tunique rouge, ceinture verte, pantalon bordé de vert, la main gauche sur la hanche, la main droite tenait un oriflamme de la largeur d'un cache-sein.

Un tambourineur les suivit.

Enfin, apparut le palanquin du Docteur.

Encadrant les deux côtés du palanquin, deux porteurs de parasol vert au sommet argenté escortaient nonchalemment la toiture du palanquin, ainsi qu'un porteur d'éventail de plumes et un serviteur encombré par une boỵte laquée noire et une pipe-à-eau en bambou.

Derrière le palanquin ondulaient cinq fanions vert, rouge, jaune, bleu et violet, symboles des cinq éléments. Ils occupaient les quatre angles d'un carré et son centre. Leurs porteurs en chapeau et en souliers noirs endossaient une robe de crêpon rouge, les deux bras arrondis pour maintenir la hampe enfoncée dans un support de bois en forme de moulin suspendu sur leur ventre.

Le porteur de gong en cuivre était sur leur talon, suivi lui-même par le palanquin de l'épouse du Docteur.

Deux jeunes filles en robe de soie rose et turban bleu enroulé plusieurs fois autour de la tête marchaient allègrement sur la pointe des pieds de part et d'autre, l'une soutenait un éventail de feuilles tressées, l'autre un coffret laqué rouge.

Comme le palanquin du Docteur, celui de Madame était aussi abrité par deux parasols verts auxquels il manquait seulement le sommet argenté.

Le palanquin de Monsieur le Père précédait immédiatement celui de Madame la Mère.

Derrière eux, défilaient les notables, très dignes dans leurs amples habits bleus.

Ceux-ci faisaient place ensuite à une panoplie d'instruments de musique : trompettes, tambours, luths, flûtes, etc.

Une rutilante cohorte d'environ une cinquantaine de drapeaux, d'étendards, de bannières alignés les uns derrière les autres à deux ou trois mètres de distance, s'acheminait d'un pas modéré.

Le cortège se refermait sur deux porteurs de gong.

Le joueur de gong portait un habit pareil à celui du tambourineur : même bonnet, même habit de cérémonie, même bottes noires, un bâton dansait constamment à l'ouverture de ses grandes manches.

Trompette de cuivre accrochée sur l'épaule, le maire du village Văn Khoa et ses gardiens de paix couraient d'un bout à l'autre de la procession d'un air affairé pour veiller consciencieusement au maintien de l'ordre.

Aux trois roulements de tambour accompagnés de modulations vibrantes des gongs, suivis d'une volée de sons de tambours et de cloches en bronze, le cortège s'ébranla, prit le chemin du retour. Luths, trompettes, conques marines, flûtes retentirent à tue-tête.

A une vingtaine de pas de la porte de la citadelle, soudain, le joueur de tambour marqua trois coups successifs signalant un arrêt pour tout le monde. Puis, un poing sur la hanche, celui qui officiait recula majestueusement de cinq pas, là, jambes écartées, il fit danser son bâton tout en s'avançant de cinq pas pour administrer magistralement quelques coups bien sonnés.

Après le premier roulement, les quatre garçons agitèrent leurs oriflammes, tout en tournant subitement sur eux-mêmes pour fixer le centre du carré. Après le deuxième, ils changèrent de place en traversant la route, la main continuait d'imprimer un mouvement giratoire aux drapeaux. Au troisième battement, ils retournèrent à leur place, en agitant toujours leur drapeau. Au quatrième, tandis que les drapeaux poursuivaient leur mouvement ondulatoire, les quatre garçons s'avancèrent vers le milieu du carré, puis, baissant la tête pour déployer le drapeau devant leur visage, ils poussèrent à l'unisson un long cri "Hoo...o..o". Le même rituel se répétait quatre fois, puis le commandant martela quelques coups au rythme lent ordonnant aux danseurs de reprendre leur place initiale, le visage tourné vers la tête de colonne.

Gongs et tambours égrenèrent lentement, la procession poursuivit tranquillement sa route d'un train de tortue.

Ngô Tất Tố, "Banquette et tente" (Lều chõng)
12. Au village natal
La porte du village natal était décorée de fleurs et de feuillage tressés en guirlandes. Les autorités locales en tenue de fête attendaient le nouveau lauréat avec un autel rempli de fleurs, d'encensoirs, de candélabres, etc. De nouveau, on tirait les pétards. Le docteur descendait de son palanquin pour saluer les dignitaires avant de rentrer chez lui informer respectueusement ses ancêtres de ses nouveaux succès et honneur devant l'autel des ancêtres. Parchemin, bannière, tablette, etc. octroyés par l'empereur étaient déposés sur l'autel.

Le lendemain, il va à la maison communale et au Temple de la Littérature pour les prosternations rituelles.

Puis c'était le défilé sans fin des villageois, des parents et amis qui se déplaçaient même de loin pour venir féliciter le nouveau lauréat et le combler de cadeaux : bétel, thé, alcool de riz, pétards. Sentences parallèles, bannières... remplissaient la maison et décoraient tous les murs.

Le docteur organisait des festivités pendant plusieurs jours pour accueillir ses hôtes. On tuait à cette occasion des dizaines de buffles, de bufs, de cochons, sans compter les volailles. La maison ne suffisait pas, on installait des tentes dans la cour pour avoir de la place. A la nuit tombante, une représentation du théâtre populaire ajoutait une note de gaỵté aux festivités.

13. Les autres privilèges du docteur
Dans l'ancien temps, après le Retour glorieux, le docteur pouvait choisir un emplacement dans son canton pour y faire bâtir sa maison. Les habitants du canton étaient réquisitionnés pour construire cette maison en brique, large de trois travées environ.

Les nouveaux docteurs devaient rester au Bureau des archives historiques pendant trois ans afin de se perfectionner en littérature, au sens large, et en sciences politiques, en attendant leur nomination. Depuis 1856, selon leur grade, chacun d'eux recevait mensuellement de trois à cinq ligatures d'argent ainsi que trois livres d'huile environ pour leur lampe.

Le docteur jouissait de tant d'honneurs et d'apanages que les familles riches se bousculaient pour lui offrir la main de leur fille. De leur côté, les jeunes filles préféraient "le pinceau et l'encrier" du lettré pauvre aux "rizières immenses et étangs alignés" des rustres [18]. Longtemps après l'abolition des concours, elles continuaient à déclarer "sans études supérieures, point de mariage !"

Conclusion
Aucun système, si bien conçu soit-il, ne résiste à l'épreuve du temps. Les concours n'échappaient à cette règle. Les raisons du déclin des concours au Vietnam sont multiples, en voici les principaux :

- Les privilèges nombreux incitaient les lettrés à rechercher la réussite personnelle plutôt que le but initial : se dévouer aux intérêts publics. Les mandarins intègres disparaissaient peu à peu et remplacés par des ambitieux sans scrupules ;

- Trop d'admiration pour la culture chinoise les conduisait à considérer les autres civilisations comme barbares. Convaincus de leur supériorité, ils répugnaient à admettre une faille dans leur système, demeuraient hostiles aux réformes et à l'ouverture vers l'Occident, s'enfermaient dans une ignorance quasi totale du monde extérieur ;

- Habitués à valoriser d'une façon excessive les qualités intellectuelles, ils méprisaient l'usage de la force. Les mandarins militaires étaient considérés comme valables uniquement pour leurs bicepts mais ignares, de loin inférieurs aux mandarins civils. La défaite militaire devant l'armée française entraỵnant la perte de l'indépendance contribuait à jeter le discrédit sur les concours qui formaient des mandarins incapables de défendre le pays malgré leur courage et leur dévouement. Des mandarins comme Hoàng Diệu, Nguyễn Tri Phương qui n'hésitaient pas à se suicider plutôt que de se rendre à l'ennemi n' étaient pas rares.

L'enseignement traditionnel, pour sclérosé qu'il était, avait cependant le mérite de former une classe de dirigeants qui, par leur savoir et leur conduite, avaient gagné la confiance et l'estime du peuple, jouissaient d'un prestige dont bénéficient encore les intellectuels de nos jours.

Pierre Pasquier raconte, dans L'Annam d'autrefois, qu'un jour, en 1898, avec le Résident à Cầu Đơ (Hanoi), ils furent surpris par un "tintamarre effroyable". Il s'agissait d'une procession accompagnant un mandarin en palanquin avec étendards et musique... La foule s'arrêta devant la Résidence. Un homme s'avança et après profondes salutations, formula une requête surprenante : "Nous sommes les chefs et sous-chefs du huyện Phú Xuyên. Notre sous-préfecture compte parmi ses habitants un grand nombre de lettrés, de cử nhân, voire même de tiến sĩ. Il n'est donc pas admissible que notre nouveau quan huyện soit moins lettré et moins diplômé que nous-mêmes. Or, le nouveau quan huyện n'est même pas un tú tài. Il ne peut décemment nous donner des ordres. C'est dans l'intérêt de l'administration que nous vous ramenons le nouveau quan huyện en vous priant de vouloir bien le remplacer par un mandarin lauréat d'un concours triennal, ce dont nous vous serions dix mille fois reconnaissants".

Ce sous-préfet était, en effet, sans instruction et avait été nommé à ce poste uniquement pour services rendus au Protectorat. Il s'empressa de découvrir une maladie grave et subite qui le força à demander congé.

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[1]- La capitale, sous les Lê, était Thăng Long (Hanoi).

[2] - Siège du Comité extérieur (voir : Le jury).

[3] - Quốc Tử Giám : Ecole des Enfants de la Nation. N'y sont admis que les boursiers, fils de mandarins ou membres de la famille royale.

[4] - Les Quatre livres classiques sont : La Grande Etude (Đại học) ou l'art d'éduquer le peuple ; Les entretiens de Confucius avec ses disciples (Luận ngữ) ; La doctrine du Milieu (Trung Dung) ; Le livre de Mencius (Mạnh Tử ). Les Cinq livres canoniques sont : Le livre des Mutations (Kinh Dịch) ; Le livre des Odes (Kinh Thi) ; Le livre des Rites (Kinh Lễ) ; Le livre des Annales (Kinh Thư) ; Le livre du Printemps et de l'Automne (Kinh Xuân Thu). Voir : "Concours de mandarins", http://chimviet.free.fr/giaoduc/chquynh/thihuong_francais/chquynh_thihuong_francais.htm

[5] - Ce chiffre était variable selon les circonstances.

[6] - A titre indicatif, voici le traitement des examinateurs pour une session :

un président recevait 80 ligatures et 15 mesures de riz (une mesure = 30 bols de riz cru) ; un vice-président : 70 ligatures et 12 mesures de riz ; un tri cống cử : 55 ligatures et 10 mesures de riz ; un correcteur : 30 ligatures et 6 mesures de riz ; un censeur : 40 ligatures et 8 mesures de riz ; un régisseur : 40 ligatures et 8 mesures de riz ; un đăng lục, soạn hiệu, etc. : 25 ligatures et 5 mesures de riz ; un secrétaire : 8 ligatures et 3 mesures de riz.

En 1803, le traitement mensuel d'un ministre était de 30 ligatures et 20 mesures de riz ; celui d'un sous-ministre : 30 ligatures et 10 mesures de riz.

[7]- Au début, on les notait selon le système des concours régionaux : Très Bien (Ưu), Bien (Bình), Passable (Thứ), Nul (Liệt). Depuis 1829, on les notait de 0 à 10, puis à partir de 1910, de 0 à 20.

[8] - La Porte du Midi est l'une des quatre entrées de la Cité impériale, la principale. Elle ne s'ouvrait qu'aux événements importants, lors de la réception d'un ambassadeur par exemple. Elle est surmontée d'une galerie, appelée Galerie des Cinq Phénix (Lầu Ngũ Phượng), lieu où l'empereur présidait aux parades militaires ou à une proclamation solennelle des résultats des concours de doctorat, accompagné de mandarins en tenue de Cour, devant la foule assemblée. C'est ici que l'empereur Bảo Đại, dernier empereur des Nguyễn, effectua la cérémonie de passation du pouvoir en 1945.

[9] - La capitale Huế est entourée de trois enceintes : la première, à l'extérieur, est une enceinte fortifiée (Kinh Thành) ; la deuxième s'appelle l'enceinte de la Cité impériale (Hoàng Thành) ; la troisième abritant les palais impériaux se nomme l'enceinte de la Cité pourpre interdite (Tử Cấm Thành).

[10] - Réputés pour leur sagesse.

[11] - Au Vietnam, on appelle aussi les docteurs "ông nghè". Mais les "nghè bút thiếp" étaient de simples copistes chargés de recopier les compositions des docteurs aspirants.

[12] - Les candidats étaient autorisés à récupérer leur copie, pas l'original, où figurait l'appréciation de l'empereur à l'encre rouge appelée "châu phê".

[13] - Une fleur de bananier donne naissance à un régime de six ou sept mains, chaque main à une quinzaine de bananes.

[14] - Il s'agit de la commune qui s'appelle "Jardin impérial".

[15] - Les autres stèles érigées sous les Nguyễn se trouvent au Temple de la Littérature de Huế.

[16] - Thân Nhân Trung, reçu major au concours de doctorat en 1469 et nommé ministre des Fonctionnaires.

[17] Phan Thanh Giản, ministre et ambassadeur en France en 1863, eut son nom effacé de la stèle par l'empereur Tự Đức pour avoir cédé les trois provinces du Sud à la France après des défaites successives de l'armée annamite. Plus tard, l'empereur Đồng Khánh le rétablit à son grade.

[18] - Dans l'espoir d'être un jour femme d'un docteur frais émoulu et partager son honneur au cortège du Retour glorieux.