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ÉCOLE
DE MON ÂME,
DEMAIN JE SERAI SÉPARÉ DE TOI! (1) par CHÊ LAN VIÊN Traduit du vietnamien par TRÚC HUY |
Les rayons ardents du soleil, peu à peu, se condensent. Et le vent du Sud, avec ses tourbillons de poussière, nous revient et embarrasse nos belles pensées. Chaque matin, les fleurs de flamboyant s'épanouissent et brillent au soleil. Sur son matelas rouge et sa couverture bleue, le jour fait paisiblement sa sieste. Dans le silence du midi, quelques cigales accordent la tranquillité du pays de leur chant monotone. Au moment où l'espace brûle d'envie de revoir les rayons dorés du soleil couchant, l'après-midi s'écoule péniblement. Sans doute, s'abandonne-t-elle à ses rêveries, tout en marchant. Hélas! Le Ciel et la Terre emportent tout d'un coup l'âme d'un juif errant. L'odeur salée des mers du Sud caresse aimablement son cœur du souffle d'un vent qui passe: c'est l'odeur envoyée par l'Océan indien. Et si nous jetons un coup d'œil sur le nuage de poussière qui tourbillonne dans l'air, nous pouvons deviner qu'il a sans aucun doute séjourné au désert de Sahara. Cependant, discrètes sont les intentions des flamboyants. Écoutons la sève de la vie qui en sort et qui nous mène vers la tristesse! À chaque instant s'accroît la vieillesse: en un seul jour, les fleurs de flamboyant seront fanées, abandonnées. Hélas! Vous qui êtes nées dans les buissons parfumés, vous mourez dans la poussière! Et les cigales aussi, une fois l'été passé, on balaie et les pauvres cigales mortes et les fleurs fanées. Ces écoles-là, ivres sous le soleil brûlant, pour quelle raison, elles aussi, pâles d'une tristesse sans nom, sont-elles devenues des juives errantes? Leurs portes grandes ouvertes, je les ai entendues appeler leurs enfants ingénus pour leur dire: "Mes enfants! L'automne et l'hiver sont passés, nous ne devons pas demeurer ainsi ensemble pour toujours. Eh bien! Maintenant qu'il fait beau temps, c'est le moment favorable pour quitter votre école et partir loin. Oui, il faut que vous partiez, mes enfants. Et, sans aucun regret, vous pouvez m'abandonner ici, pour toujours! Ô mon Dieu! Mes toits frémissent d'entendre les appels d'En haut, pourquoi me semblez-vous tous insensibles aux charmes extérieurs qui nous attirent sans cesse?" Au printemps, quand les fleurs abondent et que leurs parfums s'exhalent, nulle invitation n'est plus claire que celle-là. Et, à présent, le soleil devenant de plus en plus ardent et le vent de plus en plus fort, c'est pour nous l'heure de la séparation sur le chemin épineux où peinent bien des jeunes gens. ooOoo Ces élèves qui, ces années-ci, vivaient paisiblement au milieu des tables et des bancs d'école, sont devenus des juifs errants! Je les ai vus, pendant les heures de classe, s'asseoir nonchalamment devant leurs livres, les yeux vagues, charmés par je ne sais quels points lumineux qui errent dans l'espace. Oui, certains rêvent sans doute à une jolie maison au penchant de quelque agréable colline, où ils pourront vivre grâce à quelques hectares de terre, avec l'aide d'un bœuf ou d'un buffle. D'autres désirent s'enchaîner à un salaire, se faire employés dans certaines entreprises, esclaves jour après jour de la montre du directeur. Mais, la majorité songe à abandonner leur chère école pour partir loin. La longueur même du chemin excitera leur goût de l'aventure (car la passion doit expirer avec la fin de la jeunesse). Juifs errants, ils ne pensent pas qu'un jour, ils retourneront à leur terre natale! Ô pauvres cœurs ingénus! Vous qui êtes des colombes blanches, ne sortez pas de vos pigeonniers! La boue ne tardera pas à souiller vos cœurs, jusqu'à ce que vos cœurs et la boue se confondent! Alors, que faire? Quand sort de l'école la voiture d'un interne et que le Corbeau d'Edgar Poe n'est pas là pour lui dire cette sombre lamentation: "Jamais plus!" ooOoo Je vais vous exposer mon idée (n'en riez pas!): devant la porte de l'école, je voudrais faire construire trois marches très hautes. À la sortie de l'école, vous choisiriez un vieux professeur et vous le prieriez d'y monter. Et chaque élève passerait devant lui en silence pour l'entendre dire: "Mon enfant, tu descends dans la vie." – La vie, ce n'est pas quelque chose qui nous fait monter! Maintenant que la séparation est proche, les cœurs jadis insensibles et froids, élèvent des appels passionnés. À la récréation, les élèves, par bandes ou par groupes, généralement de deux, marchent dans la cour. L'un baisse sa tête et regarde son ombre mouvante attachée à ses pieds; l'autre lève la sienne et attend un fin nuage isolé qui passera devant lui. Les deux amis marchent en silence. Les rares paroles, qui leur échappent de temps en temps, baissent comme le soir (l'imprécision laisse comprendre combien il y a loin de la pensée aux mots). Le soir, si l'on a un ami interne, on reste encore une demi-heure à l'école; ou si l'on est tous deux externes, on vient se voir chez l'un ou l'autre; ou encore, si ce sont deux internes, dans les lieux peu fréquentés, dans les salles silencieuses, vous pouvez entendre leur respiration entrecoupée. Car il ne vous reste plus qu'un mois, un seul mois, et l'on se séparera. Dans un mois, on se séparera! Ces mots, emportés par le vent, traversent la cour de l'école et entrent dans les classes. Quelques-uns les ont entendus à la porte de l'école. On commence par se dire: "Dans un mois, nous nous séparerons. Avons-nous encore quelques soucis qui valent la peine qu'on en parle?" Ensuite: "Mon chéri, dans un mois, je ne t'aurai plus! Te souviendras-tu de moi?" "Mon ami, dans un mois, je ne t'aurai plus! Si tu ne m'aimes pas, ne me dis point la vérité! Conservons nos illusions!" Dans un mois, on se séparera! Et tout sera fini. L'un s'en ira dans la vie; l'autre, sur du papier à lettre violet, écrira le nom d'un autre ami. Les deux enfants se font des serments, des promesses. Profitant du peu de temps qui leur reste, ils veulent s'aimer encore davantage. Et quand le bonheur est entre leurs mains, soudain coulent des larmes, car le temps passe si vite! Dans un mois, on se séparera! Et puis, un soir (pourquoi seulement le soir?), l'école rêvera que ses portes s'ouvrent d'elles-mêmes, et il lui semblera que légèrement quelqu'un met le pied sur son seuil. Et les élèves, répartis aux quatre coins de la terre, pendant de longues vacances, se souviendront de leur école et regretteront son toit rouge et ses arbres verdoyants. ooOoo Et puis, un soir (pourquoi toujours le soir?), l'école rêvera que ses portes s'ouvrent d'elles-mêmes, et il lui semblera que légèrement quelqu'un met le pied sur son seuil. Et les élèves, répartis aux quatre coins de la terre, pendant de longues vacances, se souviendront de leur école et regretteront son toit rouge et ses arbres verdoyants. Un élève se souviendra d'un lointain matin de printemps: comme il ouvrit la fenêtre de sa classe, son regard tomba sur un pré fleuri où voltigeaient des papillons. Cinq ou dix papillons, pas plus! À l'heure de la récréation, il sortit, les poursuivit. Et quand il eut mis le nez auprès des herbes pour sentir, fut-il fort surpris par le manque de parfum! Il avait oublié, pauvre enfant, qu'il n'était pas un papillon aux ailes d'or! Il y déposa néanmoins une feuille de papier blanc, en espérant que les papillons ne retrouveraient plus la trace. Resté seul, il se mit à réfléchir: "Qui pourrait effacer la trace de mon école? Quelqu'un aurait-il posé là une feuille de papier blanc?" Un élève se souviendra d'un certain après-midi (le souvenir lui sera sans doute venu de l'été): comme il était en train de gonfler les pneus de sa bicyclette, il entendit, venant du haut d'un laboratoire, un son d'harmonica qui accompagnait les paroles chantées par une belle voix tantôt aiguë, tantôt grave. Les paroles et la musique marchaient ensemble dans un rêve comme un couple d'amoureux. Soir de Rafles, J'ai deux amours (2)... Ce sont là de très vieilles chansons. De nos jours, il est probable que nul ne s'en souvient. La chanson l'aidait à revivre ses doux souvenirs: un baiser reçu le jour de son entrée à l'école, un concert de musique quand il était encore en cinquième, un garçon qui marchait et qui chantonnait sous les pins... Les souvenirs surgissaient tristement des brumes du passé. ooOoo Chacun garde fidèlement son souvenir, et c'est le souvenir de son école à soi. Pour moi, mon école, c'est comme une âme. De tout mon cœur, j'ai eu pitié de moi-même. Car il ne me reste plus qu'un mois, un seul mois, et j'abandonnerai mon école. L'abandonner? L'abandonner? Qui m'oblige ainsi à abandonner mon école, elle qui m'est si chère? Ah, j'abandonnerai mon école! Que c'est étrange: personne ne me crie ces mots, et pourtant je les entends comme un écho qui retentit dans mon cœur. ooOoo Que c'est étrange: personne ne me crie ces mots, et pourtant je les entends comme un écho qui retentit dans mon cœur. École de mon âme! Demain, je serai séparé de toi et jeté, malgré moi, dans les remous de la vie. On ne peut pas, avec un sourire collé sur les lèvres, dire aussi facilement comme jadis sur le rebord de la fenêtre: "Trouver du bonheur, ce n'est pas chose bien difficile. Il suffit de bien distinguer le bleu du ciel du rose des fleurs de pêcher qui sont en train de s'épanouir." À vrai dire, toujours bleu est le ciel. Et, si vous preniez la peine d'aller un peu plus loin au sud du Vietnam, cher lecteur, vous remarqueriez que les fleurs roses des pêchers s'épanouissent toute l'année. Hélas! La beauté du ciel et celle des fleurs ne font plus briller nos yeux! ooOoo Élèves, mes chers amis, malgré les bons conseils qu'on vous a donnés, une fois retournés chez vous, je crains fort que votre innocence ne soit dépossédée par votre famille! Quant à moi, dans une petite ville de province, je retournerai vivre, seul, retiré du monde. Alors, un beau matin, je me souviendrai de mon école où nous nous étions séparés. Un billet de chemin de fer, quelques pièces de monnaie, et voilà que je retrouve mon école, mon école à moi. Ah! Qu'elle était froide et triste! On remarquait plus mes souliers et mon chapeau que mon cœur que je vous avais apporté. Seul, mon ami le plus intime se fit distinguer peut-être des autres par une poignée de main un peu plus chaleureuse. Et voilà tout. ooOoo Mais, ce qui me semble le plus triste et le plus monotone, c'est la situation suivante: Un jour, en me donnant une femme, on me clouera à l'humilité de la famille. Chaque soir, assis sur une chaise devant ma maison, je regarderai couler les nuages et j'entendrai souffler le vent. Les montagnes dans le lointain – je ne sais à quoi elles auront songé – deviendront brusquement plus sombres que jamais. Et je ne sais non plus ce qui pourra m'aider à me souvenir de mon école. Alors couleront des larmes dans mes yeux. Quelques gouttes en sortiront et resteront suspendues à mes joues. Si ma femme était avec moi à ce moment-là, que penserait-elle de ces larmes, encore toutes chaudes? Qui lui répondra pour moi que je regrette ma vie d'écolier, moi, en ce moment-là? ooOoo Ah! Abandonner son école! Abandonner son âme! Élèves, mes chers amis, après la dernière classe, à la sortie de l'école, n'oubliez pas de laisser tous vos livres et cahiers au concierge de votre école. Ne vous inquiétez pas de ne pouvoir les relire, ni de n'en conserver comme souvenirs! Je parie que, même si vous les gardiez précieusement, ils ne seraient pour vous d'aucune utilité. De même, ce serait illusoire pour vous de soupirer, à la sortie de l'école: "Nos souvenirs resteront solidement gravés dans notre cerveau!" Non, non! Le cadavre ne retient jamais l'âme. Dites-vous bien ceci: "Les souvenirs se bousculent pour s'enfuir par la porte de notre âme. Et l'argent et la malhonnêteté nous voleront tout, parfum et beauté des choses." ooOoo Oh! Le brillant soleil est déjà à son zénith. Le ciel solitaire ouvre ses portes immenses. Les arbres étalent leurs feuilles à la fraîcheur d'une brise légère qui passe. Le gazouillement des moineaux tombe en des milliers de gouttes lumineuses... Dans un moment, c'est la
récréation. Les élèves sortiront et marcheront sur cette couche de
gravier-là; et la cour de l'école se couvrira d'un nouveau souvenir.
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(1) - Titre original "Bỏ
Trường Mà Đi", essai poétique extrait du recueil "Vàng Sao"
(L'Or des Étoiles) publié en 1942. Chế Lan Viên (du vrai nom Phan
Ngọc Hoan, 1920-1989), poète et essayiste vietnamien, publia en 1937
son recueil de poèmes "Điêu Tàn" (Ruines) qui le rendit célèbre.
[Cette traduction française par Trúc Huy est publiée dans EUROPE Revue Littéraire Mensuelle, Août-Septembre 2000, numéros 856-857, pp. 263-270.] |
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